L’Âme idéale de Alice Vial : Ghost Actually

Entre ambition fantastique et romance maladroite, L’Âme idéale d’Alice Vial tente un mariage délicat entre le fantastique et la comédie romantique.

S’il y a bien un genre qui n’arrive pas à faire son nid en France malgré la kyrielle de tentatives, c’est bien le fantastique. Et pourtant, nous sommes le pays de Maupassant et ses contes macabres, de Cocteau et sa Belle et la Bête, des Chants de Maldoror, et j’en passe. Cependant le constat reste le même : bien souvent, le fantastique n’est pas traité avec le respect qu’il lui est dû, mais davantage comme un simple outil au service d’une histoire métaphorique dépassée ou d’une simple intuition – d’une entorse à un genre. Alice Vial et L’Âme idéale font-ils exception à la règle ?

« Elsa (Magalie Lépine-Blondeau), 40 ans, célibataire, a renoncé aux histoires d’amour. Un don un peu spécial la garde à distance des autres : elle peut voir et parler aux morts. Pourtant, un soir, elle rencontre Oscar (Jonathan Cohen), un homme drôle et charmant qui lui redonne de l’espoir. Malheureusement, au moment où elle commence enfin à tomber amoureuse, Elsa réalise que leur histoire n’est pas aussi réelle que ce qu’elle pensait. »

© Gaumont

Quand Elsa rencontre Oscar

L’idée fondatrice de L’Âme idéale a tout pour séduire les fans de films fantastiques, un genre qui a plutôt du mal à pleinement s’implanter en France (voir les retours douteux d’Anges & Cie sortie cette année). Le pitch : une infirmière approchant la quarantaine travaillant en soin palliatif se trouve être affublée d’un pouvoir bien particulier – du moins pour ceux qui n’auraient pas lu ou vu Doctor Sleep. Entremetteuse entre le royaume des vivants et des morts, Elsa joue le rôle mythologique de Charon en accompagnant les défunts piégés sur Terre dans l’au-delà.

Dans cette petite comédie romantique aux notes dramatiques un peu trop corsées, les fantômes apparaissent comme superposés au quotidien de l’héroïne, créant un brouhaha visuel et émotionnel qui rend toute relation amoureuse presque impossible. En témoigne l’ouverture du film sur un rituel psychopompe, qui vient se conclure sur une rupture amère mais forcée. Toutefois, les codes du genre offrent rapidement une échappatoire : Elsa, après un accident en moto, tombe amoureuse d’un homme, Oscar, qui, ironie tragi-comique, ignore qu’il est mort.

L’ironie dramatique est alors évidente, et le film se prête au jeu de quelques scènes cocasses où Elsa tente tant bien que mal, avec une subtilité plus ou moins aux fraises, d’éviter qu’Oscar comprenne son nouvel état. Heureusement, le pot aux roses est rapidement découvert au profit d’une relation intime. Sauf que ce qui aurait pu être un joli mélange de comédie et de mélancolie s’essouffle assez vite, la faute tout entière d’un scénario mal affûté.

Paranormale Romance

Les ressorts, pour rebondir, c’est important. Alors, quand ceux-ci ont tendance à se rouiller après le premier tiers du métrage, nous laissant envisager sans surprise le déroulé de la narration, autant dire qu’on ronge notre frein à l’attente du déroulement du générique. L’écriture manque de finesse, fragilisant le rythme d’une histoire d’amour contrariée qu’on peine tristement à croire.

Même derrière la grâce de Magalie Lépine-Blondeau, la thématique de la sensibilité exacerbée (métaphore filée par les pouvoirs venant réhabiliter une forme de sorcellerie au féminin) peine à trouver une réelle existence à cause d’un manque d’originalité quant à son traitement. De même que le traitement du fantastique, qui ne semble ici être convoqué qu’en béquille au profit d’une romance à l’aspect décharné.

Le diagnostic est donc douloureux : le scénario manque de profondeur en ce qui concerne la dramaturgie pure, et de maturité dans ce qui touche à la psychologie humaine et la manière dont se tisse une relation amoureuse. En outre, tout le propos plutôt bien pensé de la fatigue de compassion menant à la dépression de l’héroïne, est futilement noyée dans une marmite de grosses ficelles. Dommage. Le mélange de genres et des tons peuvent pourtant pleinement s’épanouir, comme nous l’a prouvé à plusieurs reprises le cinéma coréen.

L'Âme idéale de Alice Vial : Ghost Actually
© Gaumont

Spectre-moi fort

Si L’Âme idéale peine à convaincre dans son écriture, il séduit pourtant par son enveloppe visuelle. La photographie de Julien Poupard, probablement l’élément le plus abouti du film, évoque cette nouvelle vague québécoise où les nuances boisées et les atmosphères légèrement embrumées donnent à chaque scène une mélancolie palpable. Mention honorable à l’image du concert invisible / fantomatique d’Oscar qui, le temps d’un morceau, démontre les belles intuitions dont le film est capable, tout en nous frustrant de constater qu’il n’a pas cherché à plus creuser dans ce sens.

L’image d’Alice Vial, à n’en pas douter, caresse plus qu’elle ne raconte, créant des zones de flottement qui collent aisément au thème des présences fantomatiques. La mise en scène réserve d’ailleurs quelques fulgurances, comme une scène stroboscopique de révélation pour Oscar, délivrant une intensité soudaine qui tranche avec la mollesse à suivre. Néanmoins cette beauté plastique se heurte souvent à une direction d’acteur étonnamment flottante et des dialogues maladroits, nous renfonçant désagréablement dans nos sièges au moment du décollage.

On sent de la tendresse, la bonne volonté, l’envie de genre (comédie-romantique bien plus que fantastique), mais l’encéphalogramme reste plat. Résultat : les émotions peinent à se fixer, Calogero stagne dans son ascenseur pendant que les minutes semblent des heures, et les personnages paraissent se dissoudre dans un épanchement de pathos qui se voudrait refléter une forme d’angoisse assez contemporaine (la solitude des grandes villes ou la peur de ne jamais trouver l’âme sœur à l’ère de l’hégémonie des sites de rencontre), mais gauchement traduite et délivrée.

Malgré une esthétique soignée et quelques fulgurances visuelles, L’Âme idéale échoue à harmoniser ses intentions romantiques et fantastiques, laissant un récit emprunté et des émotions effilochées. Le film révèle de belles idées mais manque de conviction, sacrifiant profondeur et cohérence au profit d’une sensibilité trop vague pour vraiment marquer la rétine ou le cœur. 

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