La Vie rêvée de Miss Fran de Rachel Lambert : L’Enfer c’est nous-même

La vie rêvée de miss Fran Rachel Lambert

Pour sa seconde réalisation, la cinéaste américaine Rachel Lambert prend le parti de proposer une œuvre teintée par la dépression. Si La Vie rêvée de Miss Fran surprend par sa direction narrative, c’est pour mieux laisser un goût amer en bouche.

Loin des plateaux verts et bleus d’Hollywood, Daisy Ridley propose dans La Vie Rêvée de Miss Fran, une nouvelle palette de jeu bien singulière. Si l’antipathie l’emporte souvent sur la sympathie ressentie pour son personnage de ce Sometimes I Think About Dying (Parfois je pense à en finir en VO, tout un programme), la prestation est remarquable et vaut bien le déplacement.

« Fran est employée de bureau dans une petite entreprise portuaire de l’Oregon. D’une timidité maladive, cette célibataire mène une existence millimétrée, dénuée de toute fantaisie – exception faite des étranges rêveries auxquelles elle s’abandonne. Mais les choses changent le jour où Robert, nouvelle recrue fantasque et sympathique, fait mine de s’intéresser à elle… »

La vie rêvée de miss fran Rachel Lambert
© Condor Distribution

Faire ressentir le mal-être

Des mouvements lents, des plans larges et une image froide. Voici la recette utilisée par Rachel Lambert pour poser les bases du mal-être de son personnage principal, perdu dans une routine dénuée de lumière et de joie. On y fait la connaissance de Fran (Daisy Ridley), coincée tantôt entre les quatre murs de son appartement mal éclairé, tantôt entre les fines cloisons de son lieu de travail. La première partie du film nous fait suivre les déplacements pendulaires entre ces deux lieux, au détour de quelques bribes de son trajet, illustrées de manière tout aussi moroses et convenues que le reste de la vie de Fran. Sa situation semble déterminée et sans porte de sortie.

Pour appuyer davantage sur cette fatalité, Rachel Lambert décide de mettre l’emphase sur la ville dans laquelle vit son personnage. Jamais nommé, mais étant l’archétype des villes post-industrielle où l’économie ne vit que pour un secteur (ici, le maritime), ce lieu devient tout aussi oppressant que notre protagoniste tant ses rues se désertent le soir tombant. Avec une ligne d’horizon particulièrement basse, le spectateur-même expérimente cette sensation de se retrouver enfermé dans un destin incontrôlable. Et c’est sur cette exposition que le film pose les bases de son retour à la chaleur, dans une œuvre qui se révèle finalement plus solaire qu’aux premiers abords.

L’interaction au cinéma ou l’art du dosage

La beauté de La Vie rêvée de Miss Fran se révèle rapidement dans les interactions que les personnages forment. Malgré l’austérité de l’image et de notre protagoniste, Rachel Lambert réussit à faire surgir de l’humour sans crier gare. Au détour d’une machine à café ou à l’arrivée au bureau, toutes les discussions banales peuvent se transformer en des interactions d’une grande humanité et touchantes.

Amusée de ce constat, la réalisatrice explique qu’elle « trouve ce genre d’échanges hilarants ! Je trouve les êtres humains très intéressants et je suis consciente que c’est le commentaire le plus banal qu’on puisse faire à leur propos. Mais nous sommes tellement stupides et drôles à la fois. Et on s’énerve pour des choses parfaitement dérisoires. Quand on prend le temps d’y réfléchir, c’est fou de se dire que nous sommes en vie et que tout ce qu’on trouve à dire, c’est qu’il me faut ce chargeur de portable ».

De la langueur volontaire

Sur ce dernier point, la cinéaste illustre le subtil dosage qu’il faut mener dans le 7e art pour tenir des interactions intéressantes. Sans la dose d’humour, le film aurait semblé trop long et plombant. Au contraire, avec trop d’humour, on y perdait tout l’enjeu. D’autant plus que le rythme, très lent, du récit ne jouait pas en sa faveur pour tenir un spectateur en haleine plus longtemps.

En effet, tout semble s’étirer sous nos yeux fatigués. Chaque marche semble sans fin, chaque regard est tenu de trop longues secondes et chaque – rare – sourire s’installe confortablement le temps de lentes respirations. Certains n’accrocheront pas, d’autres se laisseront hypnotiser par cette langueur volontaire.

La vie rêvée de Miss Fran Rachel Lambert
© Condor Distribution

La Vie rêvée de Miss Fran sera un ovni dans les sorties cinéma du mois de janvier. Toujours sur le fil dans son processus narratif cultivant les lenteurs, il avait tout d’une œuvre qu’on oublierait sitôt sortis de la salle. Pourtant, il continue à trotter dans l’esprit plusieurs semaines après. Une belle découverte.

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