La Nuée de Just Philippot vacille entre un drame social à l’allure réaliste et l’horreur. Une horreur qui n’est pas sans nuances, mélangeant elle-même le fantastique et le gore.
Dans La Nuée, le spectateur pénètre au sein d’un foyer anxieux, où une mère de famille (Suliane Brahim) qui élève seule ses deux enfants, se retrouve dans une importante crainte financière. Son élevage de sauterelles s’avère particulièrement compliqué. Plongé en plein milieu rural, loin des artifices citadines et mis face à ce dur labeur où il faut sans cesse s’égratigner les mains pour gagner un tant soit peu sa vie, le propos de l’histoire ainsi que sa représentation (toutefois un brin moins empathique que du Ken Loach) se fait percutante.
Un travail et une vie de famille difficiles
Outre un travail difficile qui pèse sur les frêles épaules de Virginie, son autre source d’anxiété principale est la relation qu’elle entretient avec ses deux enfants, Gaston et Laura.
Si Gaston est un petit garçon jovial (seule source de gaieté dans l’œuvre), Laura, l’aînée, est en perpétuelle confrontation avec sa mère. L’incompréhension et le mal-être dominent entre les deux présences féminines. Laura ne comprends pas les ambitions de Virginie. Pourquoi sa mère s’épuise-t-elle à la tâche, sans essayer d’atteindre un plus grand objectif de vie ? Pourquoi ces sauterelles occupent-t-elles toute son attention ?
Une nouvelle phobie : les sauterelles
D’abord individualisées, les sauterelles se font la métaphore directe de l’état de santé physique et mental de Virginie qui se dégrade au fil du temps. Plus sa santé se dégrade, plus les sauterelles deviennent inquiétantes, menaçantes et prennent de l’ampleur. Virginie, essayant de joindre les deux bouts entre sa profession d’agricultrice et son quotidien de mère, s’en oublie entièrement. Le spectateur l’observe avoir oublié tous ses désirs, ne pas s’autoriser à vivre sa féminité. Elle disparaît, s’évapore doucement, jusqu’à se laisser engloutir par une dépression qui se devine. Plus elle plonge dans le gouffre, plus les sauterelles prennent le contrôle de son corps. Dévorant peu à peu sa chaire. Virginie se donne à elles, comme une offrande. Elle se sacrifie pour ses enfants et dans sa vie de femme.
La mise en scène regorge d’ingéniosités et confère une angoisse grandissante. La présence récurrente d’une lumière verte qui est travaillée dans l’œuvre, sort le spectateur d’un réalisme potentiellement attendu afin de pivoter dans une dimension plus irréelle et fantastique. Dès lors que son esthétisme apparaît, cette lumière verte suggère un danger imminent. Les sauterelles sont quant à elles, tantôt filmées en très gros plan tantôt maintenus dans des espaces clos. Elles finissent par devenir un épais brouillard, sortants de leur espace d’enfermement pour aller pourchasser leurs proies humaines. Une nouvelle phobie naît chez le spectateur horrifié. Les sauterelles sont affreusement dérangeantes. Carnivores et voraces, exerçant une emprise véritablement malsaine. Jusqu’à en devenir un monstre inattendu.
Soutenu et distribué par les sociétés Capricci et The Jokers, aller voir La Nuée en salles, c’est aussi soutenir un cinéma français qui ose sortir d’une zone de confort habituelle. Pas une once de comédie dans le film, mais du drame réinventé. Le dialogue ne prédomine pas mais l’atmosphère fait tout le travail. Une atmosphère qui s’immiscera au plus profond des entrailles du spectateur pour lui faire vivre une expérience surprenante.
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