Entrée violente et récit initiatique, La Mort n’existe pas de Félix Dufour-Laperrière est une frappe visuelle et narrative qui affirme la place d’auteur de son réalisateur.
Un auteur engagé est le porteur d’un voyage politico-artistique, qui emmène avec lui tous ceux qui poseront les yeux sur son oeuvre. Avec La Mort n’existe pas, l’animation, médium polymorphe, se prête à merveille à l’exercice du film-théorie, d’un manifeste bavard et profond, qui joue avec notre perception du fond comme de la forme.
« Après un attentat armé raté contre de riches propriétaires, Hélène abandonne ses compagnons et s’enfuit en forêt. Manon, une de ses amies et complices lors de l’attaque, revient la hanter. Hélène doit revisiter ses convictions, ses choix et leurs conséquences, dans une vallée où métamorphoses et grands bouleversements viennent bousculer l’ordre des choses. »

Action directe
Ouvrir un film par son climax est un exercice toujours difficile. La question étant : comment maintenir un état de tension alors même que le plus spectaculaire semble être passé ? À cela, La Mort n’existe pas répond par… son manque de réponses.
La tension retombe aussi sèche et fluide pour maintenir le spectateur dans un état proche de l’ébriété. Une ivresse d’idées et de violence qui nous laisse béat dans cet entre-monde, et transforme la salle de projection en un purgatoire collectif – sans être aussi désagréable. Le tout ressemble et rappelle cet état d’excitation de l’engagement. Lorsque l’on est proche de son but, que l’action est là, toute proche, encore plus proche que le sentiment qu’on peut changer les choses.
La fluidité du discours se retrouve d’ailleurs dans les visuels. L’animation se concentre ici plus sur le mouvement que sur l’instant. Les personnages bougent et évoluent comme un liquide, lentement, comme glissants de manière imprécise. En sortant des canons habituels de l’animation sans pour autant les quitter totalement, Félix Dufour-Laperrière fait de son film quelque chose d’autre qu’un hommage ou qu’une coupe précise dans l’histoire de l’animation : une évolution.
Double négatif
Les différentes strates narratives se retrouvent directement dans chaque plans. En plus d’une profondeur de champ exacerbée (ou complètement bouchée), le film se pare de plusieurs couches texturées qui permettent une lisibilité directe du visuel comme du narratif. Un papier vient recouvrir chaque plan, pour en uniformiser le tout, puis les couleurs arrivent : contrastées, inhabituelles, dérangeantes, oniriques. Nous ne sommes pas dans le terrain du connu, ni même du plausible. Le film ne fait rien pour nous laisser croire à son univers, mais il nous le fait ressentir, de manière plus douloureuse, viscérale.
La Mort n’existe pas est donc un film de négation. Puisqu’elle n’existe pas, c’est qu’elle laisse place à la vie. Et dans un film où l’ouverture se dévoile dans une hécatombe, il faut soit beaucoup d’hypocrisie soit une pincée d’ironie pour l’affirmer avec une telle fermeté. Mais ce titre, plus qu’humoristique, semble plutôt compléter une pièce du puzzle de questions qui devrait vous trotter dans le cerveau à la fin de la séance.
Edge of tomorrow
La mort, personnage omniprésent et pas que dans ce film, est alors écartée. L’on ne se place plus par rapport à la peur de perdre la vie, mais celle de lui faire face. Pouvons continuer d’avancer dans un monde éternel ? En aurions-nous seulement l’envie ? Si l’on nous donnait une seconde chance, une résurrection, serions-nous seulement capable d’accepter de changer?
Faire revenir un personnage à la vie, c’est un peu le tuer quand même. N’en déplaise au récent Mickey 17, ce n’est pas une invention récente. La preuve : la Bible, dont le deuxième tome comprend une itération de résurrection. Nos personnages ont une existence bien plus longue que celle de leur vie. Leurs actes, leurs souvenirs, leur présence s’imprime tout au long du film, venant changer la place qu’ils y avaient. Ce qu’ils furent avant leur trépas n’a plus d’importance, puisqu’on peut en corriger le tir. Et puisqu’il n’existe plus, sa mort non plus. Puisque nous sommes en vie, c’est que nous ne sommes pas morts. Si nous sommes ici, c’est que La Mort n’existe pas.
