Le cinéma d’animation prend sa place dans le monde entier, et la Pologne a bien son mot à dire. Avec La Jeune fille et les paysans, le duo de cinéastes met un coup de pied dans la ruche. Une expérience artistique unique, à découvrir le 20 mars en salles.
Après avoir brouillé nos repères avec La Passion Van Gogh en 2017, Hugh Welchman et Dorota Kobiela marquent leur retour avec une œuvre d’autant plus déroutante. Une hybridation entre cinéma en prise de vue réelle et peinture à la main, qui ne manque pas d’éveiller nos sens et notre curiosité.
« Au XIXe siècle, dans un village polonais en ébullition, la jeune Jagna (Kamila Urzędowska), promise à un riche propriétaire terrien, se révolte. Elle prend son destin en main, rejette les traditions et bouleverse l’ordre établi. Commencent alors les saisons de la colère… »
De l’Art avec un grand A
Alors que le cinéma d’animation est trop souvent réduit à un sous-genre cinématographique par certaines personnes, voire méprisé – « les dessins animés, c’est pour les enfants » entend-t-on – ici il se révèle être la forme la plus parfaite pour parler d’Art avec un grand A. C’est plus de 100 petites mains qui ont manipulé couleurs et textures pour proposer un film si riche et unique.
Adapté d’un grand classique polonais de Władysław Reymont, les cinéastes nous offrent à voir leur culture, ouvrant ainsi une nouvelle porte sur le monde qui nous entoure. Mais au delà, c’est ici un film musical, dansant, peint, où la plastique se forme et se déforme sous nos yeux. Accompagnées par une bande originale au rythme saccadé par les tambours oppressants et les violons grinçants, les scènes de danse parviennent à nous couper le souffle. Impossible de ne pas sortir son Shazam pendant la projection. Un film qui saura satisfaire les plus gourmands, agrémentant sa recette animée de pincées d’art sous toutes les formes.
Comme plongé dans un musée, notre esprit est absorbé à travers terres et cultures. Les caméras flottantes et travelling nous permettent de flâner de décors en décors. Saison après saison, nous traversons des tableaux tous plus époustouflants les uns les autres. Rien ne saurait être plus propice que la nature en elle-même, pour offrir des cadres si envoûtants, avec cette technique d’animation peinte. Les couleurs s’harmonisent aux palettes d’émotions de nos paysans, tout autant qu’au grand froid polonais et à son soleil étouffant.
Portrait de la jeune fille en feutre
Si la caméra peut à la fois rendre notre errance plus légère, elle permet aussi de traduire l’esprit volatile de Jagna. Dans La Jeune fille et les paysans, on raconte l’Histoire, celle de la Pologne, celle de son art littéraire, mais aussi celle actuelle. En plus de relever le challenge d’utiliser une technique d’animation unique, les cinéastes popularisent un livre au prix Nobel, tout en l’adaptant au goût du jour.
« Il y a toujours des femmes comme Jagna un peu partout, confrontées à des problèmes similaires dans un monde où les différences de traitement entre hommes et femmes existent toujours bel et bien. »
C’est cramponné à notre fauteuil que nous découvrons la vie de Jagna. L’espace restreint du village, dans lequel elle vit, prend alors forme d’une entité à part entière. Un village comme personnage. Les décisions sont prises collectivement, aucun secret ne résiste longtemps face au commérage incessant.
Créant ainsi une forte tension comme quelques longueurs, ce cadre étroit ne laisse passer que très peu d’oxygène. Toujours au plus proche de ce personnage féminin rêveur et incompris, nous ne pouvons qu’entrer en empathie malgré ses traits lunaires.
Réalité ou illusion ?
C’est par un réalisme plus marqué que d’autres films d’animation, que La Jeune fille et les paysans peut donner vie a des sujets profonds, comme la distribution des richesses, le patriarcat ou la jalousie. L’idée n’est donc pas de caricaturer, de déformer les traits,… mais de traduire une vérité tout en offrant de nouvelles techniques graphiques comme Michel Ocelot ou Florence Miailhe avaient pu le proposer en France.
Comme énoncé plus tôt, nous ne faisons plus seulement face à un « film d’animation ». Nous pourrions autant récompenser ses costumes, ses décors, ses musiques que son scénario adapté. La complexité de son découpage, de son esthétisme et de son message en font une œuvre complète.
Si dans La Passion Van Gogh, le réalisme avait franchi une certaine limite de part le casting déjà trop connu aux yeux des spectateurs, ici le rendu parait plus fluide. La rotoscopie est donc à double tranchant. Dans A Scanner Darkly de Richard Linklater, c’était une forme aussi inédite que repoussante qui nous était proposée. À la fois trop réaliste, aux acteurs trop célèbres, pour que nous nous détachions de nos connaissances, mais aussi trop saccadée et réduite dans sa palette d’émotion pour nous y faire croire. Dans La Jeune fille et les paysans, même si certains plans très rapprochés viendront encore perturber notre œil, par leur réalisme trop fort, le rendu global est bien plus harmonieux, notamment grâce à la présence captivante de la nature.
Haut les cœurs ! Flânant entre les voix ensorcelantes des villageoises et la beauté ravageuse de Jagna, La Jeune fille et les paysans fait son chemin en nous, saison après saison. Au rythme des percussions, nos émotions se heurtent, offrant un voyage aussi initiatique que sensoriel.