La Jeune femme à l’aiguille de Magnus von Horn : Le plafond de Vermeer

Le film qui pique du bout des doigts pour s’abreuver de l’espoir du pauvre spectateur. La Jeune femme à l’aiguille serait-il être le meilleur film de vampire de l’année, garanti sans dents pointues ?

Le choc visuel est toujours au cinéma un argument de poids. Du cinéma d’exploitation gore à l’expérimental déroutant, mettre le spectateur dans une zone d’inconfort est une assurance de trouver un public curieux, voir masochiste. On trouve de célèbres spécialistes du genre, Lars Von Trier ou Gaspar Noé en tête. La Jeune femme à l’aiguille, troisième long métrage de Magnus von Horn, s’essaye au terrain boueux du film-provocant, à voir s’il ne s’y enlisera pas.

« Copenhague, 1918. Karoline (Victoria Carmen Sonne), une jeune ouvrière, lutte pour survivre. Alors qu’elle tombe enceinte de son patron, elle rencontre Dagmar (Trine Dyrholm), une femme charismatique qui dirige une agence d’adoption clandestine. Un lien fort se crée entre les deux femmes et Karoline accepte un rôle de nourrice à ses côtés. »

Sous un arbre immense, Caroline et Dagmar veillent sur un enfant anonyme qui se repose dans un landau.
©BAC films

La belle aux doigts piquants

Une série de visages, et sur ces visages, d’autres visages. Avec un jeu de lumières, par des projections sur les acteur.ices, Magnus von Horn ouvre directement son film en jetant à corps perdu ses spectateurs dans la vallée de l’étrange. Le visage semble humain, mais il ne l’est pas.

Plus tard, il creuse ce motif : qu’est-ce que le visage sinon un trait humain ? Et qu’est-ce que l’humain sinon son visage ? La question se pose après la première Guerre mondiale, quand les gueules cassées reviennent hanter les rues comme dans les tableaux d’Otto Dix. Un visage brisé, c’est une âme en charpie.

Le visage, quand il est caché, de dos, ou dans l’ombre, c’est l’inhumain qui reprend le dessus. La bête, ou l’autre-chose. Et cet autre-chose, il l’exprime très bien en rendant bizarre, en rendant autre ce qui n’a pas de visage. On en voudra pour preuve les plans qui s’approchent du visage de nouveaux-nés. De tas de viande couverts de langes, ils deviennent humains. Et quand la vie les quitte, c’est par les cris, les bruits, les convulsions qu’ils s’expriment, non plus par une grimace ou par les yeux.

Aiguiller le spectateur

Et il y a la déshumanisation. Dans le contexte actuel comme après la Guerre, l’avortement est pointé du doigt comme un meurtre, et le meurtrier comme un monstre. La Jeune femme à l’aiguille s’en amuse presque, jusque dans son titre prémonitoire. Et peu lui importe l’arme autant que la victime, un cintre ou une baïonnette, le mal est fait, indistinctement de ses raisons. Tout le monde est fatigué, crevé de conflits, personne n’a la force de chercher la nuance.

La nuance, elle, est morte dans les tranchées. Maintenant, quand on ne sait pas vivre, on meurt, quand on n’est pas coupable, c’est qu’on est innocent. Et jusque dans la photographie, d’un noir et blanc grainé, sale, traînée dans la boue et un sang dont on ne discerne même plus le rouge, on devine ce manque de vitalité. L’image est ternie, par le temps et les désillusions. Le temps n’est plus aux couleurs mais à la grisaille et au manichéisme.

La Jeune femme à l’aiguille, le film comme son personnage, va chercher dans cet écrin de boue une lueur d’humanité. Mais, et cela se retrouve visuellement aussi, l’on peut faire un parallèle avec le dernier film d’Alexeï Guerman Il est difficile d’être un dieu. La poisse recouvre les habits, les mains et l’écran, donc la lumière. Elle putréfie les visages et les mœurs, à tel point qu’une séquence d’infanticide vient inscrire un personnage jusque-là ambigu dans une horreur réelle mais complètement attendue.

Le corps du nourrisson, jeté dans les égouts, vient faire partie du corps de la ville de Copenhague. Il nourrit ses entrailles comme un sacrifice païen, comme la croyance que toute la force vitale qui l’habite permet la survie des habitants. Comme celle que le sacrifice héroïques des poilus a permis pour la survie du pays.

Trop peu de lueur nuit

La violence héritée de la Guerre n’est pas effacée. Elle est restée là, peinte à même les murs de la ville et dans le cœur des survivants. Un cycle sans espoir qui ne laisse pas beaucoup d’espace au questionnement pour le spectateur. C’est là le principal défaut du film : son manque de lueur. Il étouffe le spectateur et ses personnages à coups de massues scénaristiques.

Et aussi beau soit-il, aussi bien interprétés soient les personnages, ils n’évoluent qu’à travers une vision étriquée de désespoir qui empêche le bon développement d’une tension qui monte les vingt premières minutes pour ne jamais redescendre. À trop vouloir rendre un univers sombre, on finit par ne plus voir où on avance.

C’est donc un pari réussi pour quiconque a envie d’en finir avec la joie. Un long-métrage marquant, stylisé, mais qui s’enlise dans sa propre vase scénaristique. Néanmoins une trouvaille visuelle aux multiples influences, qui débordent du film. Jusqu’au point de recréer trait pour trait la Sortie des usines Lumière pour appuyer ses modèles d’entant.

Au fond d'une cours sombre et salle, Dagmar regarde dans notre direction. Elle à laissé un peu avant elle un bandeau, cette fois vide.
©BAC films

La Jeune femme à l’aiguille n’est pas à enfoncer dans n’importe quels yeux. C’est un film lourd, marquant, dont la technicité sert le jusqu’au boutisme macabre de son auteur. Mais néanmoins une réussite artistique qui à le mérite de s’assumer, tant dans ses références que son exécution.

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