Avec La Conférence, Matti Geschonneck revient avec justesse et intelligence sur les ressorts de la technocratie nazie.
La Conférence affiche des airs de films historiques déjà vus. Pourtant Geschonneck prend ici à revers la thèse d’autres films célèbres comme La Chute, qui envisage le IIIe Reich sous le prisme d’une poignée de commanditaires.
« Au matin du 20 janvier 1942, une quinzaine de dignitaires du IIIe Reich se retrouvent dans une villa à Wannsee, conviés par Reinhard Heydrich à une mystérieuse conférence. Ils en découvrent le motif à la dernière minute : ces représentants de la Waffen SS ou du Parti, fonctionnaires des différents ministères, émissaires des provinces conquises, apprennent qu’ils devront s’être mis d’accord avant midi sur un plan d’élimination du peuple juif, appelé Solution Finale. Deux heures durant vont alors se succéder débats, manœuvres et jeux de pouvoir, autour de ce qui fera basculer dans la tragédie des millions de destins. »
La Conférence de Wannsee, acte 3 scène 1
Les studios de cinéma et de télévision n’en sont pas à leur premier coup d’essai pour porter à l’écran cet évènement sordide où le destin de millions de personnes a basculé. Il y a eu d’abord un téléfilm allemand (La Conférence de Wannsee) en 1984 puis un téléfilm américano-britannique (Conspiration) coproduit en 2001 par la BBC et HBO. Avec Kenneth Branagh, Stanley Tucci et Colin Firth entre autres, ces deux tentatives passent curieusement à côté du sujet.
Des personnages trop diabolisés pour le premier, des dialogues en anglais difficiles à accepter pour l’autre et des excès de colère entre les protagonistes bien trop romancées dans les deux. À vouloir trop évènementialiser cette conférence qui consistait pourtant à l’origine en une réunion ordinaire, les deux projets échouent.
Depuis, le temps est passé et l’émergence d’un réalisateur comme Matti Geschonneck permet d’enfin se saisir des véritables questions sous-jacentes à cette conférence.
« Hitler, c’est nous »
Si le cinéma allemand d’après-guerre selon le philosophe Éric Dufour a eu du mal à concevoir le IIIe Reich autrement que par « Hitler et sa clique » face à des Allemands qui seraient des victimes (En ces jours-là, La Nuit tomba sur Gotenhafen), la philosophe Hannah Arendt balaie tout cela avec le concept de banalité du mal en 1963. Tout fonctionnaire inséré dans le dispositif étatique est sujet aux pires exactions. Le cinéaste Hans-Jürgen Syberberg s’inscrit dans cette lignée lorsqu’il signe Hitler, un film d’Allemagne en 1977, une fresque de 7 heures. Hitler serait-il seul responsable du IIIe Reich ou la société l’y aurait poussé ? Syberberg n’apporte qu’une réponse sans appel : « Hitler, c’est nous ».
Avec toujours le même procès-verbal de l’époque mais chargé de cet héritage intellectuel, Geschonneck réussit dans La Conférence là où ses prédécesseurs ont échoué. Qu’un génocide soit en train d’être mis en place est évidemment un sujet, c’est en revanche finalement bien plus la personnalité ordinaire des technocrates qui attire notre attention. Quinze personnages en huis-clos qui débattent – cette fois ci en allemand – sans vociférer leur haine et sans qu’aucune musique ne vienne appuyer l’inhumanité de leur propos. Voilà une preuve que le sujet a été réfléchi en amont.
Une œuvre riche à l’esthétique malheureuse
La Conférence apparaît alors comme l’antithèse d’un autre film allemand à gros budget : La Chute (2004). Dans cette œuvre, spectacularisation d’un évènement historique notoire, le régime nazi se voit personnifié par une poignée de personnalités monstrueuses. Avec La Conférence, Geschonneck construit son dispositif de manière à ce que tous les personnages soient de simples technocrates. Interchangeables, encore et toujours.
Malheureusement, La Conférence est aussi une œuvre peu inspirée dans sa mise en scène. Les champs contrechamps s’enchaînent avec facilité et les gros plans se veulent trop insistant pour créer de l’émotion. Certes, une pluie d’effets aurait été malvenue. Mais cette répétition formelle mêlée à des tunnels de dialogues parfois complexes, nous renvoie à un travail riche mais fastidieux.
En dépit d’une mise en scène trop plate, La Conférence se révèle être une œuvre aux références intellectuelles bien digérées et réfléchies pour questionner la nature du régime nazi. Bien loin d’instrumentaliser l’histoire, Matti Geschonneck livre un récit effroyable et sans nulle doute intemporel. Si l’humanité a perdu la guerre en ce 20 janvier 1942, rappelons que l’histoire ne cesse de bégayer.