Difficile de résumer la trilogie La Condition de l’homme sans trop en dévoiler afin de ne pas froisser la découverte de cet immense film fleuve. Masaki Kobayashi vient ici conter la vie de Kaji, à partir de 1943, revenant sur trois grandes parties de sa vie : avant, pendant et après la guerre. Un voyage intérieur à travers les doutes, les convictions et les idéaux d’un homme face à l’effondrement d’un pays.
Immense fresque cinématographique, La condition de l’homme c’est 9h30 divisées en trois films, eux-mêmes divisés en deux parties chacun. C’est donc une œuvre cinématographique complète que propose Kobayashi, arqui réussit à adapter le roman fleuve de Junpei Gomikawa (six volumes) de façon fidèle et minutieuse. Fidèle dans son côté antimilitariste sans concession qui fait écho au roman, minutieuse dans sa radicalité. Il y a une hyper-théâtralité au sein des dialogues qui vient alors prouver l’envie de perfectionnisme du réalisateur, qui s’acharne à reprendre le bouquin dans ses moindres détails.
Un film anti-colonialiste
Décrivant sans fioritures l’expansionnisme japonais et les horreurs perpétrées par le gouvernement impérial lors de l’occupation de la Mandchourie, le film s’attaque à trois années de guerre et brosse ainsi le portrait de ces populations civiles poussées dans un esclavagisme moderne. Mais en dehors de l’aspect antimilitariste et du procès fait à l’enseignement militaire, La condition de l’homme marque car il ne s’arrête pas à ce simple constat.
Sans trop en dévoiler sur ce film fleuve que certains n’ont pas encore découvert, on peut s’accorder sur le fait que La condition de l’homme est, avant tout, un voyage initiatique personnel et intérieur. Un voyage éprouvant pour Kaji, qui va devoir supporter le fait de voir toutes ses convictions s’effondrer, en même temps qu’un pays entier. La trilogie vient alors naviguer entre réflexions philosophiques, sociales et politiques.
La nature humaine
Le propos du film va ainsi interroger ce qui façonne la nature de l’Homme, la façon dont une société humaine peut-elle créer quelque chose d’inhumain tout en édifiant le personnage de Kaji en tant qu’étendard et symbole de l’oppresseur et de l’opprimé en même temps. Le film vient alors analyser sociologiquement l’individu dans sa généralité la plus totale, mais également un individu qui ère au milieu des ruines d’humanité, s’interrogeant inlassablement sur le bien fondé de ses actes et sur la justesse morale de ses choix personnels.
Le film s’évertue également à montrer que l’âme humaine peut se déformer, se pervertir et se corrompre au sein d’un environnement précis. Le personnage de Kaji en est, encore une fois, le symbole ; peu importe les meilleures intentions, cela ne suffit pas toujours. Certains pourraient reprocher à Kobayashi un radicalisme trop puissant. Cependant ce qui fascine durant le film, c’est qu’en dépit de ce radicalisme total, sombrant parfois vers le misérabilisme, le réalisateur ne va jamais flirter avec le manichéisme. Une force incroyable quand on lit le sujet du film, qui peut être trompeur et dans lequel certains seraient tentés de tomber.
3 films, 3 oeuvres
L’exercice de la trilogie s’avère facilement casse gueule, et très peu d’œuvres méritent réellement qu’on leur accorde une trilogie. Kobayashi réalise presque un exploit en créant trois films, trois œuvres aussi indépendantes que cohérentes en tant que pièces d’un puzzle unique et immense. En dehors de ce que ce film raconte, il y a également ce que le film montre. Kobayashi a un sens de la composition aussi sobre que subtil et beau. L’image dégage une élégance à chaque scène, même lorsque le spectateur est confronté à des plans obliques, venant le marquer au fer rouge.
Du très grand cinéma, qui méritait des mots bien plus recherchés et des phrases bien plus construites mais qui, avant tout, se regarde et se ressent. Tenter d’expliquer vainement que La Condition de l’Homme est l’une des plus grandes œuvres du cinéma n’est pas comparable à l’expérience du visionnage, moment auquel on réalise à quel point elle l’est.
Il faut ainsi se laisser tenter par une œuvre dense, longue mais ô combien importante et sublime. Elle sort en blu-ray pour la toute première fois grâce à Carlotta Films.