Si le nouveau film d’horreur de Paco Plaza séduit, c’est pour sa maîtrise, son audace et sa créativité. Débordant d’idées et de passion pour son sujet, La Abuela s’impose comme un film de genre efficace qui détient toutes les clefs pour terrifier son spectateur et sait comment s’en servir.
Maître incontesté du cinéma d’horreur espagnol, Paco Plaza est de retour avec La Abuela, prix du jury de Gérardmer 2022. En salle depuis le 6 avril, le film conte l’histoire de Susana, jeune mannequin espagnole travaillant en France. Celle-ci se retrouve contrainte de rentrer en Espagne après l’accident de sa grand-mère pour prendre soin d’elle dans son appartement d’enfance. Mais sa grand-mère n’est plus tout à fait la même et des phénomènes étranges se multiplient autour de cette dernière.
Un cauchemar trop réel
Découvrir La Abuela, en particulier sur grand écran, c’est plonger dans un cauchemar qui résonne particulièrement en nous. D’une part par sa vraisemblance remarquable portée par une écriture très humaine qui nous donne à voir des personnages avec de vraies réactions, qui partagent notre peur. Mine de rien, cela constitue une base solide pour un bon film d’horreur qui se respecte – bien trop de cinéaste l’oublient. Ainsi, la protagoniste, incarnée par la fabuleuse Almudena Amor, devient le reflet du spectateur, de ses préoccupations, ses craintes, sa pitié, son désespoir, son malaise. Il est évidemment de mise d’y ajouter Vera Valdez, interprète de la grand-mère malade, absolument glaçante tout en jouant parfaitement sur cette ambivalence entre pitié et dégout.
Par ailleurs, au réalisme des personnages et du contexte initial s’ajoutent un traitement horrifique particulièrement efficace tant il s’approche des vraies sensations des cauchemars. Le florilège d’idées visuelles marquantes y est évidemment pour beaucoup, mais aussi le traitement du son qui maintient la tension durant tout le film. En effet, se refusant à tomber dans la facilité des notes de violon et avalanches de musiques malheureusement communes au genre, le son est ici bien plus subtil. Il parvient à imiter cette sensation de terreur sourde qui nous prend et met tous nos sens en alerte, cette montée en tension avant le sursaut. Ainsi, les codes du genre fonctionnent parfaitement et saisissent le spectateur en l’entraînant dans une terreur viscérale qui ne semble jamais s’arrêter.
Cage noire
Quasiment en huis-clos, le film est réellement étouffant et enferme son spectateur et sa protagoniste dans un labyrinthe infernal distordu par sa mise en scène. En effet, alors que l’on assiste à l’enfermement de Susana dans le vaste appartement de sa grand-mère, à mesure que l’on comprend qu’elle ne peut plus fuir, la mise en scène vient bloquer toutes les issues. Le traitement de l’espace pensé par Paco Plaza rend impossible toute visualisation du lieu qui paraît infini. On devient alors prisonniers à notre tour.
Par ailleurs, l’obscurité omniprésente fait constamment peser une menace qui guette et semble encercler la protagoniste. Les compositions très soignées de Plaza exploitent le plein potentiel de l’obscurité comme non-lieu où l’on projette des peurs, un regard, une présence. D’ailleurs, la photo du film repose sur un jeu de contrastes remarquable qui lui apporte une vraie pate et contribue à marquer plus durablement dans ses zones d’ombre, ses faibles lueurs de bougies, ses flashs et ses chambres obscures closes.
Le culte de l’apparence et la jeunesse éternelle
Mais en regardant au-delà de la question du genre, La Abuela est avant tout un film qui nous parle d’une société basée sur les apparences et l’idéalisation. Avec la fascination pour la jeunesse et la beauté qu’elle offre et la peur de vieillir, de ne plus être désirable.
C’est là le jeu de contraste principal du film qui oppose et rapproche sans arrêt le duo de personnages en conflit. Le thème de l’apparence permet à Plaza d’inclure à sa mise en scène le motif du miroir, souvent relié au genre horrifique.
Un miroir de soi
Ici, le miroir c’est aussi bien soi-même que l’autre, reflet de ce que l’on convoite et ce que l’on craint. Il est en perpétuel changement, il s’abîme, se craquèle, si bien que l’objet en lui-même devient source d’effroi d’avantage que ce que l’on peut y voir.
Avec le motif du miroir et de la cage vient le symbole du temps, qui défile ou qui s’arrête, piégeant un peu plus les personnages dans une frontière irréelle entre la vie et la mort, la jeunesse et la vieillesse. Ce thème est déjà ancré dans le personnage de Susana, mannequin prisonnière des affres du temps dont la fatalité est inhérente. Le cauchemar de La Abuela s’avère alors bien plus réel.
Par son réalisme intelligent, sa mise en scène et son appropriation des codes de l’horreur, Paco Plaza emprisonne son spectateur entre les murs d’un film glaçant et cruel. Nous confrontant à nos propres craintes, La Abuela questionne le rapport de la société actuelle aux apparences, au temps et au sentiment de péremption. Le discours de Plaza est en parfaite cohérence avec sa mise en scène et l’écriture de ses personnages, faisant de ce pari ambitieux une véritable réussite au plus grand plaisir des amateurs du genre en attente de propositions innovantes.