C’est un objet bizarre, expérimental voir incompréhensible pour certains. Knit’s Island est un film entièrement tourné dans le jeu en ligne DayZ, plongée dans un monde bien plus complexe et mature qu’on voudrait nous le faire croire.
Sur plusieurs années, et après plus de 900 heures de tournage, Ekiem Barbier, Guilhem Causse et Quentin L’helgoualc’h développent un documentaire tournant autour de personnes et de personnages qui, sur une heure et demie, tentent d’apporter leur réponse à la question suivante : quelle est votre définition de « la vraie vie »?
« Quelque part sur internet existe un espace de 250 km² dans lequel des individus se regroupent en communauté pour simuler une fiction survivaliste. Sous les traits d’avatars, une équipe de tournage pénètre ce lieu et entre en contact avec des joueurs. Qui sont ces habitants ? Sont-ils réellement en train de jouer ? »
Ordis et zombies
Bien sûr, tourner sur un jeu en ligne apporte une patte. Les graphismes vieillissants, les textures planes, les mouvements procéduraux, tout participe au visuel déroutant du film. À travers le montage de Nicolas Bancilhon, le langage complexe du jeu peine à transpercer le regard de spectateur de cinéma. Un jeu de médias bienvenu et encore rare, quoique en train de se démocratiser.
Comme une galerie, le film se penche sur un autre art, vidéoludique, qui ne répond pas aux mêmes codes de transmission et représentation. De longs et lents plans de coupe jouent avec les dialogues tantôt mélancoliques, tantôt absurdes de ses joueurs. La beauté visuelle de l’objet appuie un langage propre à ce monde. Le rythme parfois contemplatif du montage ne présente pas ce-dit langage, mais invite simplement le spectateur incrédule à y flotter, comme les joueurs volant dans un ciel blanc grâce à un glitch caché sous un rocher.
En abordant ce monde numérique, et utilisant les codes de la prise de vue réelle, Knit’s Island se démarque d’autres productions en animation. Ce médium, qui fait à la fois la force et la faiblesse du film dépendant du spectateur, joue (sans jeu de mot) avec le produit final.
Koh-Lanta dans la matrice
Vient alors la question de la limite. Partant du titre « L’île sans fin« , on se demande laquelle on repousse. À la fois les limites du jeu, quand une horde de joueurs tentent de trouver celles de l’île, mais aussi du média. Éliminons une question d’entrée de jeu : oui, c’est un film, oui c’est un documentaire, et oui, c’est du cinéma. Mais l’intermédialité nous offre d’abord une question ouvertement posée par nos réalisateurs : quelle est votre définition du terme « dans la vraie vie »?
Si cette question fait appel à notre bienveillance ou à notre mépris vis-à-vis de l’image qu’on se fait du « gamer », elle résonne aussi dans les salles de cinéma. Elle est néanmoins partiellement répondue par l’émotion qu’amène le film. Être touché par une oeuvre est un effet physique et émotionnel réel, que l’on ressent face à un objet qui n’est « que » projeté dans le cas du cinéma. En cela, Knit’s Island s’infuse, et avec brio, dans la « vraie vie », et son aspect documentaire lui aussi participe à brouiller cette notion. Notion ridicule s’il en est, car au cinéma comme dans un jeu, elle impliquerait qu’il y ait une « fausse vie ».
Après plus de neuf cent heures dans le jeu, des personnages récurrents reviennent, se détachent de leur personnage roleplay et se rapprochent des réalisateurs et, par procuration, de nous. Leurs aventures et mésaventures, l’impact qu’elles ont eu et l’implication qu’ont eu ces joueurs dans le jeu, comme les cinéastes dans le film, sont réels.