Johannes Nyholm : « Pour créer une histoire il faut édifier un mythe »

Johannes Nyholm

Johannes Nyholm est un réalisateur suédois et danois. Après son court-métrage à succès Las Palmas (2011), il réalise The Giant (2016) qui reçoit encore plus de louanges.

Cependant, durant toutes ces années, c’est une autre histoire qui remue dans la tête de Johannes Nyholm : Koko-Di Koko-Da. C’est ce film, fruit d’un dur labeur peaufiné durant dix longues années, qui sortira en salle le 13 novembre prochain. A cette occasion, CinéVerse a eu la possibilité de s’entretenir avec lui.

Pour les personnes qui n’auraient pas encore vu le film, pouvez-vous nous résumer Koko-Di Koko-Da ?

Johannes Nyholm : Ce film est à propos d’un drame dans une relation. On y voit un couple se briser et dont l’ensemble de leur vie s’effondre. Ils vont donc tenter de survivre dans cette vie qui ne leur appartient plus. Le spectateur voyage dans ce rêve mutuel, ou plutôt dans ce cauchemar. Les personnages filtrent ce qu’ils ont expérimentés auparavant et comment ils vivaient par le biais de ce rêve. Ce film navigue dans une montagne de rêves qui appartiennent complètement à une autre réalité.

Donc pour vous c’est un rêve commun ou uniquement celui de l’homme ? Car lorsqu’on regarde le film on a plus l’impression que c’est le sien.

Johannes Nyholm : C’est les deux. Je dirais que tout le film est comme un rêve. Ce film est mon rêve [rires], sauf le début [rires].

Combien de temps vous a pris le tournage de Koko-Di Koko-Da ?

Johannes Nyholm : 600 mois [rires]. Non mais les tournages on commencés en 2011, mais au bout de 3 ans, lorsque j’étais sur le point de le finir, j’ai fais un autre film, The Giant. Il nous était impossible d’arrêter la production. J’ai donc ainsi du mettre en pause Koko-Di Koko-Da, mais nous avons tout de même pu tourner des scènes en plus dès que j’ai fini The Giant. Cela a fait que nous avons eu différentes périodes de tournage, mais je ne saurais pas dire combien exactement, peut-être 60 ou 50 jours.

Est-ce que vous avez gardé les scènes que vous avez tourné avant The Giant ou vous avez tout refait ?

Johannes Nyholm : On a tout gardé. C’est pour cela que si vous observez bien, vous pouvez voir les acteurs changer légèrement physiquement, devenir plus jeune, puis plus vieux… Mais fort heureusement, cela rentre dans l’engrenage du rêve, cela rentre dans son atmosphère. Le public ne le verra surement pas directement, il n’en sera pas conscient, mais il le ressentira. Le public saura qu’il y a quelque chose de dérangeant lorsque les visages changent, même si on ne le remarque pas consciemment.

Que pouvez-vous dire à propos des thématiques abordées dans ce film, car il ne tourne pas seulement autour de la perte d’un enfant et du rêve, c’est plus que cela non ?

Johannes Nyholm : Non [rires]. Koko-Di Koko-Da aborde un autre sujet pour moi, il parle de la perte de quelqu’un en général. Il évoque comment s’en sortir lorsque tout autour de soi s’effondre, ce qu’il en reste et comment trouver un sens à tout cela. Le film renvoie également à la claustrophobie, en particulier dans une relation, et ainsi au besoin de liberté que cela implique. Le film parle de la douleur et du chagrin. En effet le spectateur suit les différentes approches du personnage central afin d’accepter ce chagrin qui l’habite, et l’une d’elles est d’échapper au temps, d’échapper à toutes ces forces invisibles qui le renvoient toujours un peu plus dans cette tristesse, comme si il était condamné à finir endeuillé pour toujours.

On peut voir directement dans le film que cet homme ne parvient jamais à s’en sortir, car il ne peut pas. Le public n’assiste pas uniquement à la perte d’un enfant mais aussi d’une relation. C’est comme qui dirait la perte d’un amour. Il s’agit ici de donner une forme physique à cette douleur, car elle n’est pas que psychologique, mais énormément physique, et ça c’est quelque chose que les gens sous-estiment souvent. Pour placer des mots sur ce sentiment, c’est un peu comme si un chien dévorait son estomac.

J’ai lu que le film vous a été inspiré de l’un de vos rêve il y a une dizaine d’années, mais est-ce que vous avez eu d’autres inspirations extérieures à cela pour créer Koko-Di Koko-Da ? Comme un film, un livre…

Johannes Nyholm : J’ai surtout été inspiré par de réels événements, des choses que j’ai moi-même vécues. Donc je dirais que tout est plus ou moins des expériences qui m’ont construit en même temps que mon film. Bien sûr ce ne sont pas des observations faites une par une qui m’ont servies, mais plutôt un ensemble vu d’un filtre, dans une certaine mesure j’ai un peu rassemblé des pièces ensemble comme un puzzle. Cependant ma plus grande inspiration pour ce film est un livre d’enfance que mon père me lisait. Il me semble qu’il s’appelle « Le grand livre du bonheur pour les enfants » en français. C’est vrai qu’il n’est pas très connu, mais il est magnifique. Ce n’est pas le même oiseau que dans la partie des ombres chinoises, mais il en a été inspiré.

C’est une histoire à la fois similaire mais aussi différente. Ce n’est pas vraiment comme cela que je le voyais lorsque j’étais enfant, mais en fait j’avais cette histoire en tête depuis que je suis petit et cela a étrangement correspondu avec certaines choses que j’ai vécu plus tard dans ma vie, et cet ensemble m’a permit de construire cette nouvelle version de l’histoire.

Je sais que la fin est une fin ouverte, donc que son interprétation dépend de chacun, mais pour vous, en l’écrivant, que signifie-t-elle ?

Johannes Nyholm : Je crois qu’elle permet d’apercevoir une lueur d’espoir. Les personnages s’enlassent, et pour la première fois depuis des années, ils se touchent. C’est un petit pas vers l’acceptance qui y est dévoilé, à la fois de cette situation mais aussi d’une possibilité d’être optimiste pour le futur. Ils sont coincés dans un entre-deux qu’il nous est impossible de connaître avec une voiture qui ne peut aller nulle-part. Le public voit juste qu’ils viennent de rouler sur le chien qui sera mort, comme vous pouvez le voir, pour le reste du film, donc c’est un peu comme si cet événement marquait le début du film. Ils ne parviennent pas à s’échapper du rêve, ils sont condamnés à rester des humains pour le reste de leur vie. C’est une condition humaine à laquelle ils ne peuvent échapper.

Est-ce que les trois personnages de la boite à musique sont complètement inventés ou proviennent-ils d’une légende, peut-être suédoise ou danoise ?

Johannes Nyholm : L’une des chose les plus importantes avec le fait de créer des histoires, que ce soit avec un film ou un livre, c’est d’édifier un mythe, de faire en sorte que les personnages soient réels et que le public y croit. Dans Koko-Di Koko-Da je les ai façonnés de façon à ce qu’ils soient burlesques, comiques, il soit impossible de les prendre au sérieux. N’importe qui peut sentir que ce sont des personnages iconiques de la mythologie, et c’est exactement le but. Il existent, je les ai vus [rires].

Comment décririez-vous votre film en 3 mots ? Je sais que c’est difficile sachant qu’il regroupe beaucoup de genre différents..

Johannes Nyholm : Un conte sinistre.

Puisque vous avez mis du temps à réaliser ce film, y-a t-il en fin de compte des choses, des aspects que vous avez décidés de changer avec le temps ?

Johannes Nyholm : Oui, le film n’a cessé d’évoluer à travers les années. Au début, la partie où les deux protagonistes étaient traqués dans la forêt était l’ensemble du film, dès le début. En fin de compte je me suis dis que c’était trop cruel, mais aussi trop conceptuel, trop sombre. Cela aurait été compliqué pour le public de rentrer dedans, mais aussi pour moi [rires]. C’est pour cela que j’y ai ajouté une dimension plus poétique, de l’espoir. Je voulais donner une véritable histoire aux personnages pour que tout le monde puisse mieux se trouver dans le film.

Comment avez-vous fait pour donner à ce film autant l’apparence d’un rêve ?

Johannes Nyholm : Ce fut très important de tourner assez tard le soir, avec une lumière assez fade, sans que le soleil ne se soit couché pour autant. C’est appelé « l’heure du loup », cette période pendant laquelle nous rêvons le plus et que nos rêves sont les plus violents. Durant cette heure on y voit très peu de contraste, l’atmosphère semble à celle des limbes. On y a l’impression que tout y flotte. L’ensemble de la structure du film est aussi celle d’un cauchemar dans lequel on est coincé. Les protagonistes essaient ici d’échapper à leurs fautes mais elles leur reviennent en tête encore et encore.

Ce n’était pas effrayant de tourner dans les bois, notamment lorsqu’il fait sombre, un film d’horreur ? Les acteurs n’étaient pas complètement effrayés ?

Johannes Nyholm : Je pense qu’il y a quelque chose qui était bien plus effrayant pour les acteurs que la nuit. Le tournage était semé de problèmes, et parfois cela se montrait très ressemblant à la vie elle-même, et cela a indubitablement affecté les acteurs de très nombreuses façons. Les acteurs danois ont d’ailleurs la tendance de s’impliquer énormément dans leurs films.

Le cinéma danois et suédois est très peu connu à l’étranger, en France, et s’exporte peu. Qu’est ce que cela vous fait de savoir que votre film voyage autant et est vu à l’étranger?

Johannes Nyholm : Je trouve ça cool. Je veux dire, je fais des films pour que les gens les voient, c’est bien évidemment mon but. J’adore aussi voyager avec mon film et rencontrer mon public, pouvoir en parler avec eux. Le film a l’ambition de tendre la main au gens qui se retrouvent malheureusement dans une situation similaire, à des gens qui sont perdus dans le labyrinthe qu’est leur esprit. Je pense que ce film permet de donner une façon de voir les choses, mais surtout de les accepter, pleine d’espoir. Je veux leur montrer que tout ira mieux, d’une façon très cathartique.

Est-ce que vous avez trouvé quelque chose de différent à tourner un film d’horreur ? Quelque chose que vous voudriez approfondir en faisant d’autres films du genre ?

Johannes Nyholm : Je n’appellerais pas exactement mon film un film d’horreur, car il regroupe beaucoup de genres différents, j’adore les mixer. J’adore beaucoup d’éléments des films d’horreur, et j’aime les utiliser pour capter au mieux l’attention du public. J’adore travailler autour du genre du film d’horreur et c’est sûr que je le referai. J’ai déjà beaucoup d’idées pour mon prochain film, et l’un d’eux est un film d’horreur [rires], mais je ne sais pas encore ce que je vais exploiter en premier… En fait deux d’entre eux sont des films d’horreur.

La dernière question n’est pas propos du film mais à propos de vous. Quel est votre film préféré ?

Johannes Nyholm : Oh mon dieu ! [rires] Laissez-moi réfléchir… Lorsque j’ai commencé à étudier l’histoire du cinéma, il y a un bout de temps, j’avais un film préféré. Pour moi il était magnifiquement poétique et très beau, mais quand je l’ai revu… Je me suis endormi [rires]. Du coup je pense ne plus pouvoir dire ça maintenant. Maintenant je ne sais pas trop quoi dire… J’adore Psychose de Alfred Hitchcock, c’est un film incroyable mais je déteste la fin. J’ai haï le fait que tout y soit expliqué. Ce film a toujours laissé une petite part de lui en moi, même si elle a pu s’éparpiller, alors je vais rester dessus: Psychose.

Propos recueillis par Claire Voranger.

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