Première adaptation de la nouvelle éponyme de Matheson, Je suis une légende de Ubaldo Ragona et Sidney Salkow se risque, malgré un projet à la genèse compliquée, à en restituer toute l’ambiguïté.
Je suis une légende : Dernier survivant d’une épidémie d’un virus respiratoire qui a emporté l’ensemble de la population mondiale, dont sa femme et sa fille, et les transforment en vampires, le docteur Robert Morgan tente de survivre tandis que les morts le harcèlent chaque nuit, et ne désespère pas de trouver d’autres survivants.
Une naissance difficile
Je suis une légende, est la première adaptation de la nouvelle de Richard Matheson. Il en écrit d’ailleurs le scénario même si, insatisfait du résultat, il le désavouera et signera finalement sous le pseudonyme de Logan Swanson. Rétrospectivement on s’étonnera de sa surprise, tant les ambitions du projet semblent bornées par les évidentes limites budgétaires, flagrantes notamment dans sa postsynchronisation maladroite. On regrettera aussi un recours abusif à la voix-off, tout en reconnaissant qu’il s’agit là d’un artifice quasiment inévitable pour un film de cette envergure, privé des moyens et du talent nécessaires à une narration par l’image seulement accessible aux plus grands.
La genèse du film est difficile à retracer : un temps attaché à Fritz Lang, il sera finalement réalisé par Sidney Salkow et Ubaldo Ragona, et tourné en Italie. Du reste, à force de changer de mains, il a fini par atterrir dans le domaine public bien plus tôt que prévu.
Tout n’y est pas sans panache : il propose un noir-et-blanc léché qui rappelle les premiers Bava, et ne sacrifie pas sur l’autel du bis la noirceur d’origine : la voix-off, c’est aussi le monologue intérieur de Vincent Price (aussi candide et généreux dans sa performance qu’à l’habitude), torturé, alcoolique et qui ne sait plus s’il est hanté par les morts qui viennent tous les soirs frapper à sa porte, ou par les souvenirs familiaux. Et son manque de moyens sert cette ambiance désolée, traversée par quelques images fortes, comme celles de cette fosse commune où l’armée brûlait les corps contaminés, et dont le feu refuse obstinément de s’éteindre.
Une adaptation fidèle
On remarque également que, bien que répondant aux codes du vampirisme (ils sont repoussés par l’ail, et effrayés par leur propre reflet) et encore semi-conscients, les morts-vivants du film semblent annoncer ceux de George Romero, tant Je suis une légende et La Nuit des Morts-Vivants semblent partager le même régime d’images. C’est là une des rares trahisons du film – dans l’ensemble plutôt fidèle – à la nouvelle de Matheson, dans laquelle les morts ont gardé leurs aptitudes physiques de vivants. Qui sait, peut-être doit-on un genre entier à cette trahison-là ?
Au contraire de l’adaptation de 2007, le film américano-italien conserve le sens originel du titre de la nouvelle et son ironie sociologique. Il surprend lorsqu’il convoque, dans son dernier tiers, une imagerie fasciste qu’on aura envie d’imputer à son hémisphère italien, tant elle évoque la marche sur Rome. Soudain les déambulations lasses des zombies-vampires laissent place à des battues coordonnées, et ne reste que le silence piétiné par le bruit des bottes.
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