Shunji Iwai était présent lors de l’édition 2025 de la Japan Expo, où il a donné une conférence retraçant l’ensemble de sa carrière. Ce cinéaste, à la fois réalisateur, scénariste et compositeur (entre autres !) a su développer un style et un univers qui lui sont propres, laissant une empreinte indélébile sur son public, à travers des films forts comme All About Lily Chou-Chou.
Nous avons eu l’honneur d’interviewer Shunji Iwai, afin d’en apprendre davantage sur son art, qui reste malheureusement encore trop difficile d’accès pour le public français.

CinéVerse : Puisque vous venez à l’occasion des trente ans de Love Letter, pensez-vous que votre cinéma a évolué depuis la production de ce film ?
Shunji IWAI : À chaque époque, je réalise mes films librement, tout en cherchant toujours à faire quelque chose de nouveau. Mais ma démarche n’a pas changé quand je vois l’ensemble de ma filmographie depuis mes années d’étudiant.
Avez-vous constaté des changements dans le cinéma japonais indépendant depuis le début de votre carrière ?
S. IWAI : Je pense que mon univers personnel a changé aujourd’hui. Mais je me demande si celui des autres a changé, s’il a évolué. Mais ce qu’on peut dire c’est que le monde du manga a beaucoup changé.
Justement, quels mangas vous ont inspiré, et vous inspirent encore aujourd’hui ?
S. IWAI : Je pense qu’il y en a pas mal. Depuis tout petit je lis le Shonen Jump. Et en le lisant, je peux sentir les tendances de chaque époque, un peu comme les businessmen qui lisent la presse économique.
« Je ne veux pas de quelque chose de trop simple, trop heureux ou de trop triste. »
Pour revenir à votre cinéma, comment faites-vous pour que vos films conservent une ambiance onirique, tout en abordant des thèmes sombres ?
Shunji IWAI : J’aime beaucoup la musique, et il y a sûrement un lien avec elle dans mon travail. Pour choisir la musique, il m’arrive parfois de composer moi-même, parfois de demander à d’autres de le faire. Pour la fin du film, ce sont des images et des musiques que je préfère. Je ne veux pas de quelque chose de trop simple, trop heureux ou de trop triste. Je veux éviter cela et offrir quelque chose de mystérieux, qui reste.
Vous écrivez tous vos films. Est-ce que pour vous l’écriture et la réalisation sont indissociables ?
S. IWAI : Oui, c’est très proche. Quand j’étais lycéen, je voulais devenir romancier. Quand je suis rentré à l’université, j’ai commencé la peinture à l’huile, à filmer en 8mm, et à composer moi-même la musique de mes films. Je vois cela comme une continuité de ce que je faisais au lycée et à l’université, et c’est devenu mon métier. J’écris des romans, je fais des films, je compose de la musique, et j’ai même réalisé un film d’animation. Il y a une période où j’aurais voulu devenir mangaka. Maintenant, j’aimerais faire un manga.
Quels films de votre filmographie recommanderiez-vous en premier au public français ?
S. IWAI : Parmi mes films, je pense que A Bride for Rip Van Winkle pourrait intéresser les Français, car il présente un Japon curieux. Kyrie pourrait aussi les intéresser, puisqu’il aborde le Japon après le tsunami, tout en mettant en lumière la jpop.
Et, plus généralement, quel film japonais vous semble à voir de manière indispensable ?
S. IWAI : C’est un film peut-être introuvable en France, mais Orin la proscrite [Masahiro Shinoda, 1977], qui a inspiré Kyrie. C’est une histoire qui se déroule il y a cent ans au Japon. Pour moi, Kyrie est un peu la reprise de ce film.

Vos œuvres sont assez difficiles d’accès quand on n’est pas au Japon, est-ce un problème pour vous ?
Shunji IWAI : J’aimerais vraiment que les gens regardent au moins un de mes films et en gardent quelque chose. Quand je crée, ce n’est pas pour cibler le grand public. Quand je crée, j’imagine juste un spectateur. Dans la salle de cinéma, même si nous sommes nombreux, chacun est dans son monde, seul face au film. Je souhaite vraiment que ce soit une expérience inoubliable. La rétrospective à la Maison de la culture du Japon est une excellente occasion pour moi, et j’aimerais en avoir d’autres à l’avenir.
Cette année, ce sont également les trente ans d’Evangelion, qui est à l’honneur lors de cette édition de la Japan Expo. Vous avez déjà fait des films avec Hideaki Anno, son créateur [ndlr : Iwai joue dans Ritual de Anno et Anno joue dans Last Letter de Iwai]. Est-ce que vous pensez que vos styles et vos filmographies se rejoignent ?
S. IWAI : Anno a aussi son propre style original, qu’il pousse. Nous sommes amis, et il est un peu plus âgé que moi, donc pour moi, c’est comme un grand frère.
« Il n’y a pas de distinction entre un film, un roman ou un film d’animation. Ce sont juste des techniques qui varient »
Lors de votre conférence, vous avez parlé du fait que vous cherchez à vous retrouver dans les protagonistes de vos films : à quel point cela se manifeste-t-il ? Comment cela influence la sélection des acteurs et actrices, si vous y participez ?
Shunji IWAI : J’ai toujours voulu travailler avec des acteurs que j’apprécie, et jusqu’à présent, ça fonctionne très bien. Faire le montage est un plaisir, car j’apprécie ces personnes.
C’est pour cela qu’il est important pour vous de vous impliquer entièrement dans vos films, de l’écriture au montage. Travailler seulement sur une partie de votre film ne vous intéresserait pas ?
S. IWAI : Pour moi c’est un même univers. Il n’y a pas de distinction entre un film, un roman ou un film d’animation. Ce sont juste des techniques qui varient. J’étudie, j’expérimente pour ma création. Je cherche constamment à apprendre de nouvelles techniques, de nouveaux logiciels, car tout évolue tout le temps. C’est un challenge. En général quand on prend de l’âge on s’arrête, on reste un peu tout ce qu’on a fait, tout ce qu’on a dit, mais pour moi ça ne change pas. Je continue à chercher.
Comment arrivez-vous à garder cette passion intacte ?
S. IWAI : Mon métier m’y oblige. C’est quelque chose qui n’a jamais changé.