Emilia Perez de Jacques Audiard : Regarde les femmes se relever

Emilia Perez Jacques Audiard

Jacques Audiard fait son retour sur grand écran avec Emilia Perez, une comédie musicale au féminin.

Le réalisateur français revient avec un film remarqué à Cannes : Emilia Perez, qui a remporté une palme d’interprétation pour l’ensemble de son casting féminin et un prix du Jury.

« Surqualifiée et surexploitée, Rita (Zoe Saldana) use de ses talents d’avocate au service d’un gros cabinet plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice. Mais une porte de sortie inespérée s’ouvre à elle : aider le chef de cartel Manitas (Karla Sofía Gascón) à se retirer des affaires et réaliser le plan qu’il peaufine en secret depuis des années : devenir enfin la femme qu’il a toujours rêvé d’être »

Emilia Perez Zoe Saldana
@Pathé

De battre mon coeur a recommencé

Avec le temps, Audiard ne s’est pas assagi, bien au contraire. Et le pitch de son dernier long métrage présentait déjà tout ce qu’il fallait d’iconoclaste pour attirer notre attention : Un narcotrafiquant mexicain sanguinaire veut changer de sexe et obtenir sa rédemption. Le tout sur le modèle de la comédie musicale, en espagnol et en anglais qui plus est. Voilà un postulat de base qui avait tout pour déconcerter, voire friser le ridicule. Autant le dire d’emblée, Emilia Perez en a pleinement conscience et n’essaiera pas d’être un film absous de toute invraisemblance. A 72 ans, Jacques Audiard montre – s’il fallait encore le prouver – qu’il fait partie des cinéastes français les plus ambitieux en activité, avec un film déviant qui revitalise sa filmographie.

Ainsi, Emilia Perez épouse pleinement la maïeutique de son récit. A la manière d’un Titane (de Julia Ducourneau, palme d’or de 2021), Audiard met en scène un film hybride à l’image de ses personnages. Emilia Perez est-il un mélodrame, une comédie musicale, un thriller ? En somme, un peu des trois à la fois. En effet, Emilia Perez tire sa principale force de son concept et de son puissant message de tolérance à travers la transition de son personnage Manitas. Une fois le changement de sexe effectué, la fraîchement née Emilia a la volonté de réparer les erreurs de son ancienne vie en créant une association d’aide aux personnes disparues.

Aussi, passée la première heure, les coïncidences et les invraisemblances s’enchaînent. La suspension d’incrédulité du spectateur est alors mise à rude épreuve avec un scénario volontairement grotesque.

Carnaval del barrio

Néanmoins, durant le visionnage d’Emilia Perez, ces questions de cohérence ne viennent pas tarauder le récit. Tout est rattrapé par la force du long-métrage qui se trouve dans sa plastique et son interprétation. 

Tout d’abord, Mexico est organique, Audiard en fait un personnage à part entière du récit. Une ville du crime et de tous les possibles, mise à l’honneur lors de nombreuses séquences musicales qui voient toute la ville s’agiter et chanter. (On pense notamment aux séquences qui ouvrent et concluent le film). Ces séquences musicales sont troubles, à l’image de sa ville, poisseuses et mordantes. Il faut saluer le travail de l’image, en particulier sur les scènes de nuit. Le récit sait aussi se délocaliser autant qu’il se renouvelle. Particulièrement dans une séquence à la fois poétique et hilarante, entre un médecin (Mark Ivanir) et Zoe Saldaña en Israël. Le pari de la comédie musicale paye. 

Une prophétesse

On se trouve alors dans un équilibre formel entre le Annette de Leos Carax dans son approche musicale et sa radicalité et l’œuvre de Lin-Manuel Miranda à Broadway ou sur grand écran. Miranda aussi représentait une communauté hispanique aux prises de la violence et qui tentait de s’unifier pour résister à l’âpreté du monde qui l’entoure. Ne vous-y trompez pas, Emilia Perez n’est pas pour autant un film avec une musique entraînante, joyeuse qui se réécouterait gaiement comme pour un film de Damien Chazelle (pour prendre un exemple récent). Sa musique fait corps avec son récit et ceux qui l’incarnent.

Et que serait Emilia Perez sans sa troupe d’actrices absolument brillantes. Récompensées à juste titre à Cannes, elles surnagent. Avec en tête, Zoe Saldana qui s’éloigne des sagas hollywoodiennes pour un rôle qu’elle rend singulier et parfaitement attachant. Une actrice sous-estimée qui mérite largement sa récompense à Cannes. Mais aussi Karla Sofía Gascón et Selena Gomez (ici à contre emploi) qui ont une alchimie communicative. 

Esta gente habla, el pueblo se rebela

L’agitation qui suinte de ses personnages principaux se mue dans la forme. Un film déviant, différent qui crie sa haine de l’immobilisme. Qu’il soit politique ou dans les mœurs. Emilia Perez est un pamphlet féministe, qui prône la liberté pleine et entière de la femme autant en société qu’au cinéma. Un sujet qui a tapé juste et envoie un signal fort alors que l’extrême-droite française s’est indignée de la récompense du festival de Cannes pour Karla Sofía Gascón, estimant qu’une femme transgenre ne pouvait pas gagner un prix d’interprétation féminine. Il faut rappeler qu’elle est la première actrice trans récompensée de l’histoire de la cérémonie.

Au global, si le film fait le choix de tordre différents genres, Emilia Perez est un long-métrage qui demeure malgré tout très accessible. Bien qu’un brin idéaliste, le propos du film s’ancre dans l’ère du temps avec beaucoup de joliesse. Jacques Audiard signe un film divertissant, très efficace dans son rythme. Finalement, on regretterait presque que le film tombe dans un certain classicisme dans son dernier tiers. Bien qu’il rappelle les meilleurs moments de la carrière de son réalisateur avec des thrillers comme Un Prophète ou De battre mon coeur s’est arrêté, Emilia Perez perd peut-être en ambition, en folie dans sa conclusion.

C’est certain, Emilia Perez divisera. Si le film n’échappe pas à quelques problèmes d’écriture, l’ensemble reste jouissif, amusant et profondément touchant. Une expérience en salle qu’ici on n’est pas prêt d’oublier, à mettre au crédit d’un casting féminin hautement talentueux.

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