La diffusion en compétition, lors du Festival de Cannes 2002, de Irréversible de Gaspar Noé, fut un scandale cinématographique mondial.
L’ultraviolence du film, associée à une scène de viol interminable, entraina une litanie de commentaires outrés – qui n’empêchèrent pas le succès commercial du film. Le temps aidant, sa ressortie au cinéma en 2020 dans une version « à l’endroit » (l’original était monté dans un ordre antichronologique, ce qui contribua aussi à sa popularité) reçut un beau succès critique et d’estime, actant son statut de « film culte ». Dans le documentaire Irréversible à l’envers et contre tout, Marc Godin revient sur l’histoire mouvementée de cette œuvre avec les principaux protagonistes qui l’ont façonnée, depuis sa génèse jusqu’à sa diffusion à Cannes.
Ou plutôt, dans le sens inverse : car bien entendu, irréversiblement, ce documentaire commence lui aussi par ses crédits de fin et la 7e symphonie de Beethoven, pour remonter vers son début, depuis les marches du Festival jusqu’au script. Il est également chapitré en 6 parties, permettant un large panorama de points de vue, depuis Thierry Frémaux (ayant programmé le film en 2002 à Cannes) jusqu’aux comédiens Monica Bellucci, Vincent Cassel, Albert Dupontel, en passant par Noé himself, Benoit Debie (directeur de la photographie) et les producteurs du film, personne ne manque à l’appel pour décrire « son » Irréversible.
Cachez ce viol que je ne saurais voir
En 2002, deux scènes choquèrent particulièrement les spectateurs. Les spectateurs qui avaient vu le film bien sur, mais également ceux qui ne l’avaient pas vu, et s’offusquaient par avance : premièrement, la scène du viol du personnage d’Alex (Monica Bellucci) par Le Ténia (Jo Prestia), dans un tunnel du métro parisien, durant pas moins de 10 minutes – une éternité – et inspirée de Straw Dogs de Sam Peckinpah. Deuxièmement, la « scène de l’extincteur », rappelant Un justicier dans la ville de Michael Winner, où Pierre (Albert Dupontel) fracassait le crane d’un faux coupable, à coup d’extincteur et en gros plan caméra. Il ne fut pas long avant que les accusations pleuvent : Gaspar Noé fait-il l’apologie du viol ? De l’auto défense ? Le film n’était-il que provocation ?
Sa ressortie en 2020 (Irréversible : Inversion Intégrale) déclencha beaucoup moins de polémiques, si ce n’est un vain débat opportuniste sur la misogynie du film et les dramatiques féminicides survenant en France. Un bref incendie vite éteint par le soutien réitéré de Monica Bellucci au film. Le documentaire de Marc Godin balaye d’entrée de jeu la controverse : « Le film est choquant mais la réalité l’est encore plus ». L’art imite la nature en quelque sorte, dans toute sa cruauté et non pas l’inverse. Irréversible est décidément une histoire d’allers et de retours.
L’envers du décor
Au travers des interviews composant l’essentiel du documentaire, on comprend que trois principes ont sous-tendu toute la démarche du réalisateur : d’abord, la volonté de ne pas imposer un point de vue moral au spectateur, mais au contraire, de le laisser libre de son jugement. Ensuite, de ne pas céder aux pulsions voyeuristes, que les scènes inspirent la répulsion plutôt que le désir. Enfin, de faire contraster la beauté et l’horreur, l’amour et la haine, le jeu des contraires hystérisant le bonheur romantique du triangle amoureux Alex – Pierre – Marcus (Vincent Cassel) et le drame qui les foudroie. Ces explications concrètes sur la génèse du film, permettent de comprendre à quel point Noé avait pensé son métrage, bien loin d’une simple provocation vide de sens.
Une oeuvre d’art contemporain
Le témoignage de Bellucci, dont la parole est plutôt rare, est particulièrement intéressant sur le processus de création artistique et de jeu. En particulier, une image d’archive où on la voit répéter une véritable chorégraphie de la scène du viol, comme on répèterait une scène de danse. Si la démarche de « re-création d’un crime » peut choquer au premier abord, c’est pourtant une des grandes forces de l’Art : être capable de réinterpréter le réel, pour interpeller son auditoire.
Il n’est d’ailleurs pas étonnant que les producteurs parlent de quasi « mécénat » à propos du financement de ce film impossible à marketer, qualifiant Irréversible d’œuvre « d’art contemporain ». Au final, son retentissement a largement dépassé les limites de la toile des salles obscures, pour devenir un Guernica des faits-divers urbains.
« Le temps détruit tout » concluait Irréversible. En l’espèce, il aura plutôt bonifié le film, et Irréversible à l’envers et contre tout permet de constater l’évolution des consciences depuis la première diffusion du métrage. Les nombreuses anecdotes qui ponctuent les témoignages (Saviez-vous que Noé voulait originellement que Irréversible soit un « Eyes Wide Shut réussi » ?) permettent de redécouvrir ce film désormais mondialement connu, sous un nouveau jour, apaisé. Visionnaire, précurseur, aussi romantique que désespéré, le film de Gaspar Noé est désormais reconnu pour ses qualités propres.
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Irréversible à l’envers et contre tout sera disponible dès le 17 mai sur Ciné +
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