Notre journaliste Camille Griner a échangé avec le réalisateur Antoine Besse à l’occasion de la sortie en salles de Ollie, son premier long métrage.
Après une projection pré-cannoise annulée suite à un problème de copie de film, ma fin de journée s’avère heureusement plus intéressante et productive en compagnie d’Antoine Besse, réalisateur de l’émouvant Ollie. De son premier court métrage Le Skate Moderne à la séquence de Mud – Sur les Rives du Mississippi dont il s’est inspiré dans Ollie, en passant par la composition du personnage de Bertrand, ci-joint la retranscription de cet échange foisonnant et passionnant avec ce trentenaire périgourdin à suivre de près.
Camille Griner : Entre ton premier court métrage Le Skate Moderne en 2014, et ton premier long métrage Ollie, il s’est passé dix ans. Peux-tu expliquer aux curieux que nous sommes ce qu’il s’est donc passé entre ces deux projets.
Antoine Besse : Il s’est passé plein de choses ! Lorsque j’ai fait Le Skate Moderne, c’était un peu une envie de faire un fuck au système, parce qu’on avait passé quatre ans à Paris avec mes potes de KloudBox Productions, et on s’est rendu compte que le milieu du cinéma était fermé et qu’on n’y avait pas notre place. Je suis donc rentré faire une saison à Périgueux, et à la fin de la saison, je me suis dit que ce serait cool de faire un docu-fiction sur notre adolescence de skateurs à la campagne. Il y avait des personnalités intéressantes dans la bande, et je voulais aussi montrer la réappropriation de cette culture urbaine en zone rurale. Je l’ai réalisé avec 150 euros et le 4×4 de chasse de mon père.
Le film a cartonné, tellement cartonné que ça m’a dépassé. Je me suis retrouvé à 23 ans avec ce truc qu’on appelle le syndrome de l’imposteur. Tout le monde disait qu’il fallait que je fasse la version longue, que j’étais un cinéaste, alors que je n’avais fait qu’un ou deux clips avant. Ca m’a vraiment dépassé. Le court est même parti à Clermont, aux César, et ce n’est même pas moi qui aie fait les inscriptions.
CG : Ce sont eux qui t’ont contacté ?
Antoine Besse : Oui, parce qu’on avait mis le court métrage sur Internet. Ça avait fait un gros buzz, notamment les costumes des personnages, qui étaient utilisés pour questionner les gens sur les skateurs des champs. Les gens pensaient qu’on skatait vraiment habillés comme ça, et on n’a jamais démenti… Bref, c’était allé assez loin, et je m’étais juré que je ne ferai pas de long métrage sur ce sujet. Je disais que c’était fait, et qu’il n’y aurait rien d’autre. Après ça, j’ai été signé dans une boîte de publicité et de clips, ça me permettait de gagner suffisamment d’argent pour voyager. L’idée était d’apprendre la fabrication d’un projet et de mûrir. Je ne me voyais pas faire un long métrage à 23 ans, je ne suis pas Xavier Dolan. Je n’avais pas cette velléité là, et je ne me sentais pas du tout légitime.
« J’avais The Fighter, Billy Elliot et Mud – Sur les Rives du Mississippi en tête »
CG : Ce fameux syndrome de l’imposteur…
Antoine Besse : Exactement ! Après, j’aurais fait de la merde à l’époque. Je suis très content d’avoir attendu de gagner en maturité. Si j’avais fait un long métrage trop tôt, mal fait ou autre, ça aurait pu stopper ma carrière. En tout cas c’est ce que je me disais, et c’est ce que je pense encore. On m’a par la suite proposé une première série qui s’appelle Red Creek. On l’a tourné en dix-sept jours au Canada, et ça a été un vrai baptême du feu, le moyen de me rendre compte que je voulais vraiment faire de la réalisation. J’ai donc pu commencer à gommer progressivement ce syndrome de l’imposteur. J’ai refait trois séries après, tout en continuant à faire des clips et de la pub’. Je voyageais, j’allais tout le temps au cinéma et là, j’ai commencé à me dire que j’aimerais bien faire un long.
En 2018, j’ai réalisé mon deuxième court métrage 404 avec Théo Christine, que j’avais rencontré à la plage en surfant. J’ai trouvé qu’il avait une gueule de ouf, et il m’a dit qu’il voulait être acteur. Il n’avait encore rien fait à l’époque, et on a fait ce court métrage ensemble. Il a eu le premier rôle dans Suprêmes après, donc je n’avais pas été trop mauvais sur le feeling (rires). A partir de 404, je voulais absolument faire mon premier long métrage, une version longue de ce deuxième court, avec Théo. On a eu les financements, et tout s’est annulé avec le COVID.
Mais la vie envoie parfois des signaux… La même année, en 2020, un pote de Périgueux m’appelle pour m’annoncer la mort de Béranger, qui était dans le groupe du Skate Moderne, même si on ne le voit pas parce qu’il ne voulait pas être filmé. C’était le plus fou, le plus fort, le plus impressionnant de la bande, et celui qui avait eu la vie la plus tragique. Il est mort à 32 ou 33 ans, et ça faisait des années qu’il avait sombré dans les addictions. Quand il est décédé, je me suis dit qu’il y avait une histoire à raconter.
Je me suis donc lancé là-dessus et, après tout, pourquoi pas reprendre l’idée du Skate Moderne en la revisitant. J’avais The Fighter, Billy Elliot et Mud – Sur les Rives du Mississippi en tête, parce que je voulais faire un film sur le sport, mais aussi un film d’auteur populaire pour ne pas couper le public auquel je voulais m’adresser. J’ai eu un super producteur artistique qui m’a suivi, on a écrit le script, puis on a rencontré Rezo Films, qui l’a financé et distribué, et puis ils ont coulé… On a du retrouver un distributeur et maintenant, on est là !
« Chloé Zhao, Sean Baker ou Andrea Arnold sont depuis toujours mes cinéastes préférés »
Camille Griner : La réalisation a donc toujours été ton dada, c’était plutôt le milieu du cinéma qui te faisait peur.
Antoine Besse : Oui, complètement !
C.G. : Qu’est-ce qui te rassurait dans le milieu du clip et de la publicité ?
Antoine Besse : Honnêtement, c’est que j’étais libre ! Et d’ailleurs, ce que je vais faire sur mon deuxième long métrage, c’est partir en toute petite équipe à la Chloé Zhao, Sean Baker ou Andrea Arnold, qui sont depuis toujours mes cinéastes préférés. C’est ça que j’aimais tout particulièrement dans le clip. J’avais vraiment la sensation de partir juste avec ma caméra, une idée à la con, un artiste qui avait évidemment validé le projet, et je pouvais faire ce que je voulais. Le Skate Moderne et 404 ont été conçus comme ça. C’est ce que j’aime le plus.
Même la série BTS, que j’ai réalisé avec Laura Felpin, Alexis Manenti, Théo Christine, Sandor Funtek et tout, est un de mes projets préférés parce que, idem, je l’ai fait en solo. Pour moi, le cinéma rime avec subventions, grosse équipe… Choses présentes en pub’ et en série, mais ça m’allait parce que j’apprenais à fabriquer et à être encore plus fort quand j’étais seul.

Camille Griner : Tu es parti de l’histoire de Béranger, aka « Béber », pour écrire le scénario de Ollie. Comment as-tu dosé cette part biographique, dans un souci évident de respect et d’intimité pour Béranger et ses proches, lorsque tu as écrit le personnage de Bertrand ?
Antoine Besse : C’était dur, parce que ce n’était pas un ami en toute honnêteté. C’était le « grand » du skatepark. J’ai fait beaucoup de soirées avec lui, je l’ai vu plein de fois, on se connaissait bien, mais ce n’était pas un ami, dans le sens où on n’avait pas d’intimité. C’était presque pire du coup, parce que je voulais lui rendre hommage en tant que figure marquante. Au cours des années, je me suis surtout rendu compte que des Béranger, il y en avait dans chaque village, chaque ville et chaque skatepark… Et je me suis appuyé plutôt là-dessus. Je me suis attelé à trouver chez Béranger des éléments intéressants : le fait que c’était un noir adopté, qu’il avait des problèmes d’alcoolisme, qu’il était très proche des animaux…
« A Paris, j’ai eu des tirs, toujours des mêmes petits bourgeois qui n’ont pas bougé de la capitale »
C.G. : Avec un côté modèle et mentor pour les plus jeunes…
Antoine Besse : Exactement ! C’était un genre de grand frère général pour tous les petits du skatepark. J’ai utilisé des choses chez lui mais, en même temps, je ne voulais pas jouer avec sa mémoire. C’est d’ailleurs pour ça que je n’ai pas appelé le personnage Béranger. Je ne voulais pas m’accaparer un truc, et je ne voulais pas que Ollie soit un film à la mémoire d’un skateur. Ça m’aurait gêné.
C.G. : Pour avoir grandi dans le fin fond de la Seine-&-Marne, la personnalité de Bertrand ne me parait pas étrangère. Il me fait penser à ces mecs « punk à chien » que j’ai pu croiser ado’, dans leur monde, qui peuvent faire flipper de prime abord, mais qui sont juste des mecs pas méchants cabossés par la vie.
Antoine Besse : Ça me fait plaisir ce que tu dis. On a vraiment construit le personnage avec Théo. J’avais la base, des images de Béber, une idée du personnage en tête, de Béranger à l’époque… Mais je savais que Théo était un excellent acteur et qu’il était enclin à faire de l’Actor Studio. Ça m’intéressait parce que je savais que tous les autres comédiens allaient plus ou moins jouer leur propre rôle. On a donc vraiment voulu créer ce personnage. A ce sujet, il y a un truc qui me fait bien rire d’ailleurs. Théo s’est inspiré de personnes qu’il a rencontré en Vendée et en Martinique, et dans tout le hors Paris, Bertrand touche énormément les gens, et tout le monde y reconnaît quelqu’un.
Alors qu’à Paris, j’ai eu des tirs, toujours des mêmes petits bourgeois qui n’ont pas bougé de la capitale, qui me disent que Théo en fait des caisses et que les gens comme ça n’existent pas. C’est la seule critique pour laquelle je m’offusque. Le reste, je m’en fous. Tu n’aimes pas le film, tu n’aimes pas certains trucs du scénario, pas de problème. C’est un film, c’est normal. Par contre ça, ça m’énerve. Parce que ma réponse à ça, c’est sortez de votre putain de ville, sortez de votre milieu de bourgeois, et vous allez voir qu’il y a en réalité beaucoup de gens comme Bertrand. Très exubérants, très défoncés tout le temps… Théo n’en fait pas des caisses.
« Les Apaches, pour moi, est vraiment un chef d’œuvre. »
C.G. : Le lien entre Bertrand et Pierre est vraiment atypique. Alors qu’ils sont quand même assez mal assortis, ils apportent finalement chacun du bon à l’autre. On n’a pas spécialement l’habitude de voir ce genre de relation dans le cinéma français…
Antoine Besse : Oui, c’est très bizarre ce trentenaire qui traîne avec un gamin. Mettre en lumière ce genre de personnages et de relations, Andrea Arnold le fait beaucoup. Elle est trop forte. Même Agnès Varda, lorsqu’elle fait Sans toit ni loi, c’est un peu ça aussi quand même. Et elle le fait plutôt bien. Mais effectivement, c’était il y a longtemps (rires) !
C.G. : Dans ton film, il y a deux séquences violentes tournées en plan séquence, cadrées en large et fixe, qui contrastent avec de nombreux autres plans plus rapprochés et flottants proches de tes protagonistes… Comment as-tu réfléchi et conçu ces deux scènes ?
Antoine Besse : C’est marrant, pour le coup, je vais citer un européen là-dessus. Un réalisateur me fascine tout particulièrement par sa capacité à tenir les plans… Et c’est Thierry De Peretti. Notamment dans son premier film Les Apaches qui, pour moi, est vraiment un chef d’œuvre. Je me suis vraiment dit qu’on assistait à la naissance d’un cinéaste en regardant ce film. Et dans Les Apaches, il y a des scènes de violence qu’il fait durer. Notamment une, dont je me suis beaucoup inspiré, lorsqu’ils vont tuer et que s’en suit un panoramique très lent à l’intérieur du véhicule.
La tension par le plan séquence m’a plu, parce que ce n’est pas un plan séquence gros bras, avec chorégraphie et tout, mais plutôt un plan séquence par le plan qui dure. C’est ça qui m’a donné l’idée des deux scènes dont tu parles. Dans la deuxième, je voulais aussi qu’on comprenne l’autre personnage. C’est d’ailleurs pour ça qu’il y a un autre plan sur lui à la fin.

Camille Griner : Ollie évoque beaucoup de choses très rudes : le deuil, le harcèlement, la déconstruction de soi… Bertrand et Pierre se révèlent par ailleurs similaires dans leurs galères, mais totalement antipodiques dans leurs personnalités. As-tu écrit l’un des personnages avant l’autre ? Comment as-tu construit ce duo central ?
Antoine Besse : Je les ai écrit en même temps, et c’est cool ce que tu dis, parce que c’était absolument ce que je voulais. Ils sont aux antipodes, mais d’un autre côté, je voulais qu’ils soient complémentaires. Parce que s’il y avait eu d’un côté un gamin aussi exubérant que Bertrand ou, à l’inverse, un personnage mutique face à Pierre, le film aurait été chiant. Ce que je voulais, c’était un enfant avec un regard d’adulte et un adulte avec un regard et un comportement d’enfant. Cette idée était là dès le scénario, c’était vraiment quelque chose qui était important pour moi.
Béranger, c’était l’hommage et l’idée de départ. Mais ce qui m’intéressait vraiment, c’était cette zone étrange où, quand ça ne va pas dans ta famille, ce qui était mon cas plus jeune, tu as besoin de trouver une autre famille. Et souvent, tu vas créer une famille de substitution avec des gens catalogués comme infréquentables par la société. Alors qu’ils sont en réalité très touchants et ont des raisons d’être infréquentables. C’est ça qui m’intéressait. C’est ce gamin qui subit la vie et qui se lie d’amitié, se connecte par le deuil et le skate, à Bertrand.
Le chien blanc que l’on voit plusieurs fois dans le film est d’ailleurs la métaphore du deuil pour moi. Il représente aussi l’animalité des deux héros, celui qui les connecte à travers leur passion pour le skate. C’est comme ça qu’ils vont se guérir, même si on ne sait finalement pas s’ils guérissent. Pour moi, le plan final sur Bertrand interroge. On ne sait pas s’il est encore dans l’addiction, s’il meurt, s’il ne meurt pas… Et le petit Pierre, on le voit juste dans le skateshop du coin, ce n’est pas dingo non plus (rires) !
« Mon but n’était pas de faire un énième film où les agriculteurs se suicident. »
C.G. : Intéressant pour le chien blanc. De mon côté, j’ai pensé au départ qu’il était la métaphore du frère de Bertrand, et finalement, un événement survient pour Bertrand qui fait que je me suis finalement demandée si ce n’était pas son alter ego. Et que cet événement en question provoquait peut-être chez lui une prise de conscience…
Antoine Besse : Tu as raison. Chaque personnage voit quelque chose en ce chien blanc. Pierre y voit sa mère, Bertrand y voit son frère. Mais en effet, sur l’événement que tu évoques, on peut se dire que Bertrand tue une partie de lui-même, celle qui fait qu’il n’arrive pas à avancer. On peut aussi se demander si le chien n’est pas son frère à ce moment-là. Puisque Bertrand est sur une lancée assez suicidaire, est-ce que ce n’est pas le fantôme de son frère qui le sauve en se sacrifiant ? C’était important pour moi de déjouer quelque chose dans cette scène en particulier. Parce que dans ce genre de montage alterné, on pouvait s’attendre à ce que Bertrand tue Pierre. Et pour moi ce n’était pas possible, il ne fallait surtout pas aller là-dedans. Ça aurait été dur et gratuit.
L’idée était qu’à la fin, on comprenne un peu chacun des personnages. Dans le final, le père de Pierre a pour la première fois une tenue un peu claire. Mon but n’était pas de faire un énième film où les agriculteurs se suicident. Oui ça ne va pas, mais ça va un peu mieux avec son fils donc dans la vie, ça va un peu mieux. Bertrand, pareil, ça va un peu mieux. Et la fin du film est mesurée parce que je pense que la vie est comme ça. De base, la vie est dure, mais c’est dans les petits moments d’éclaircies que la vie devient belle.
C.G. : Ollie a été plusieurs fois catalogué de film « américanisé ». Pourtant, ton film fleure quand même bon la production hexagonale…
Antoine Besse : Complètement, d’autant que je suis un geek de cinéma français aussi. Par contre, je le reconnais et l’assume à 200%, c’est même poussé, le film référence de Ollie est Mud – Sur les Rives du Mississippi de Jeff Nichols. Ce rapport « grand frère bizarre » et ce petit, ça m’a touché. Tu as d’ailleurs du remarquer que j’ai vraiment repris dans mon film la façon dont se rencontrent les personnages.
Lorsqu’ils se voient pour la première fois dans le film de Nichols, Mud pêche avec une petite canne à pêche et le petit est en face. Et à chaque champ/contre-champ, les rapports de distance ne sont pas respectés, c’est super étrange, et au dernier plan, Mud disparaît. Ça ajoute au personnage une dimension fantastique ou mythologique que j’ai voulu donner à Bertrand. J’aime bien l’idée de flirter avec la fable grâce à Bertrand. La première fois qu’on le voit vraiment avec Pierre, il a cette aura et ramène un truc un peu étrange et magique.
« Ollie est le premier film de skate reconnu par la communauté skate »
Camille Griner : Ollie a été marketé comme le premier film de skate français, ce qui n’est pas tout à fait véridique (rires)…
Antoine Besse : Alors si tu me sors le film Skate or Die, je ne prends pas (rires).
C.G. : Très discutable en effet (rires), mais il y a aussi le super documentaire français Danger Dave qui est sorti en 2014.
Antoine Besse : Oui, il est génial, mais c’est un docu’ !
C.G. : C’était histoire d’être tatillonne. On s’accorde sur le fait que Ollie est la première fiction de skate française notable, même si le film évoque avant tout la marginalité.
Antoine Besse : Tu as raison de l’être. J’irai même plus loin, Ollie est le premier film de skate reconnu par la communauté skate, et c’est important ! On a fait quinze dates avec le « Ollie Tour ». On arrivait dans une nouvelle ville chaque jour, on faisait notre événement, on appelait tous les skateurs du coin pour leurs filer de l’argent s’ils parvenaient à sauter les lettres « Ollie », placées en modules pour l’occasion. A Paris ou à Marseille, il y avait plus de 500 personnes. C’était un bordel énorme. On mettait de la musique et tout. C’est vraiment l’esprit skate. Et il y a eu plein de marques comme Supreme, Hélas. ou encore Wasted qui ont été partenaires.
Tous ont vu le film et sont venus nous dire que le film était bien, et un vrai film skate. C’est énorme ! Le marketer comme le premier film de skate, je l’ai fait un peu exprès (rires), parce qu’il y a eu ce débat. C’est moi qui ai poussé là dessus, parce que j’attendais ce genre de retour auquel je réponds avec grand plaisir que ce n’est pas un film de skate.

« Là où Depardon montre un monde qui meurt, de mon côté, je voulais filmer un monde qui naît. »
C.G. : Un autre détail m’a titillé les oreilles. Pavane, Op. 50 de Gabriel Fauré résonne à la fois dans Le Skate Moderne et Ollie. Qu’est-ce que ce morceau représente pour toi ?
Antoine Besse : C’est très simple, si tu regardes La Vie Moderne de Raymond Depardon, c’est le premier morceau qui résonne sur le travelling du début. Pour moi, c’est un film qui a un peu tout changé. Quand je suis arrivé à la fac de Bordeaux, je venais de la campagne, d’une famille pas trop cultivée au niveau du cinéma. Moi, je viens de Batman, de la trilogie du Seigneur des Anneaux, et je viens surtout du skate et du surf.
Je n’imaginais pas être réalisateur un jour, et quand j’arrive à l’université, on me montre les films de la Nouvelle Vague. Je m’en souviens très bien, le premier que j’ai vu était L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais. C’est un film que j’aime beaucoup maintenant, mais à l’époque, sans avoir de grammaire cinématographique, sans pouvoir le décrypter, sans pouvoir le replacer dans un contexte de l’époque, c’était de la merde pour moi.
La Nouvelle Vague, ce sont des bourgeois parisiens qui parlent avec une gouaille de bourgeois… En fait je ne me retrouve pas dedans. Aujourd’hui, il y a beaucoup de films de cette période que j’aime beaucoup, mais à l’époque, je ne comprenais pas. Puis un jour, on nous montre la trilogie paysanne et notamment La Vie Moderne, et là, je prends une claque. J’ai l’impression de voir tout l’environnement dans lequel j’ai grandi, même si ça montre plutôt l’époque de mes grands-parents. C’est d’une justesse incroyable. Tu vois un monde entrain de disparaître et de mourir, filmé de manière parfaitement simple avec des plans fixes, des longs travellings et de la musique classique.
Quand j’ai fait Le Skate Moderne, je me suis vraiment dit qu’il fallait que je reprenne le film et que, là où Depardon montre un monde qui meurt, de mon côté, je voulais filmer un monde qui naît. Reprendre l’idée de ce film avec des skateurs qui sortent de nulle part en se réappropriant la campagne. Pour revenir à Pavane, Op. 50, je trouve ce morceau magnifique, et c’était important pour moi de le reprendre dans Le Skate Moderne. Pour son utilisation dans Ollie, il y avait un peu ce truc de boucler la boucle en le mettant au début du film, puis de le remettre dans le final. D’ailleurs, Ollie se termine sur une phrase en voix off d’un des personnages dans Le Skate Moderne…
C.G. : J’allais y venir… A cette réplique très émouvante, issue de ton court métrage, entonnée à la fin de Ollie. Pourquoi avoir repris celle-ci en particulier ?
Antoine Besse : Pierre, celui qui dit cette phrase dans Le Skate Moderne, est vraiment un ami. C’est un mec qui, à l’époque, n’avait que le skate dans sa vie. Tout partait en vrille à côté de ça… Et quand il avait sorti ça, j’avais trouvé cela bouleversant. Ça raconte vraiment quelque chose : qu’on n’a rien, qu’on essaie de faire quelque chose et que, si on nous l’enlève, qu’est-ce qu’il nous reste. Je trouvais important de remettre cette phrase pour conclure.
C.G. : Pour terminer, est-ce que tu aurais un film à conseiller sur la jeunesse des campagnes, et un autre sur le skateboard ?
Antoine Besse : Pour le premier, je dirais Les Apaches, parce que c’est un film assez méconnu j’ai l’impression. Et pour moi, c’est un très grand film sur la jeunesse oubliée, sur la jeunesse insulaire de Corse, sur la violence, le racisme… C’est de plus un film avec une mise en scène détonante, donc je dirais celui-ci.
Et pour le film de skate, je dirais Kids de Larry Clark, de loin. Ce film a changé ma vie quand je l’ai découvert. Kids parle extrêmement bien de la communauté skate de New York dans les années 90, et parle avant tout du SIDA, de la violence dans les rapports entre les adolescents, des hommes, des femmes… C’est un très grand film. On dit souvent qu’il n’y a pas de skate dedans, mais pour moi, c’est ça le skate. C’est une caméra en longue focale à l’arrache, c’est New York, ça crache, ça pisse, ça boit, ça baise… C’est ça quoi, il y a un truc très animal.

La critique de Ollie est à découvrir ici.