Trois années après l’étonnant Méandre, Mathieu Turi revient avec Gueules Noires, un troisième long-métrage qui plonge l’audience dans l’enfer des mines du Nord. Avec Samuel le Bihan et Amir El Kacem au casting, le film revisite le bestiaire de l’horreur français pour offrir une œuvre de mythologie complète et particulièrement prenante.
Récit d’aventure par moment et fresque sociale tout du long, Gueules Noires vient prendre aux tripes le spectateur par son étouffante descente au cœur des tunnels du Nord d’une France industrielle.
« 1956, dans le nord de la France. Une bande de mineurs de fond se voit obligée de conduire un professeur faire des prélèvements à mille mètres sous terre. Après un éboulement qui les empêche de remonter, ils découvrent une crypte d’un autre temps, et réveillent sans le savoir quelque chose qui aurait dû rester endormi… »
Après Jules Verne
Si une grande partie des yeux des spectateurs français sont rivés vers les films d’action et d’aventure que le cinéma hollywoodien produit, constatons une bonne fois pour toute que la France a tout à offrir dans ses mythes et légendes. Avec Gueules Noires, Mathieu Turi réussit le double pari de dessiner une fresque sociale que de nombreuses familles peuvent lier à leur héritage, et de réussir la narration d’une épopée scientifique à l’image de la célébrissime descente d’Otto et Alex Lidenbrock dans le roman Voyage au centre de la Terre de Jules Verne.
Comme dans cette œuvre intemporelle, la péripétie s’oriente autour d’une recherche scientifique, un trou à combler dans la connaissance humaine. Ici, le rôle déclencheur est tenu par Jean-Hugues Anglade, qui offre une prestation convaincante entre obsession et rationalisme, à l’image d’un Otto Lidenbrock n’hésitant pas à mettre ses compagnons en danger pour une découverte qui dépasse tout ce que le monde connaît.
Démineurs
Mais, fort heureusement, le récit se détache en de nombreux points de son inspiration première. Contrairement à l’œuvre vernienne, Mathieu Turi décide d’orienter le cœur de son histoire autour de la fuite et de l’évasion des mines. Passé les premières heures d’exploration pour mener le scientifique à son objectif, puis après une fâcheuse mésaventure, une chose est claire : il faut remonter. Ainsi, ce format permet à son cinéaste de développer un grand nombre de situations stressantes et de rebondissements qu’une simple épopée n’aurait pu mener avant son dénouement.
Mais s’il est toutefois une chose que l’on peut lui reprocher, c’est que ce format tend par moment à se répéter encore et encore, dans de nombreuses séquences qui s’annoncent comme finales et qui s’avèrent ne pas l’être. En effet, si le procédé fonctionne les premières fois, il ne surprend plus au bout du compte et peut en laisser plus d’un perplexe.
La France des mineurs de fond
Si une partie de l’audience se contentera de prendre le film comme une pure fiction de genre dégoulinante et sale, une autre conservera en tête les trente premières minutes d’une grande intelligence. Trois séquences suffisent à son réalisateur pour poser 90% du récit, créant immédiatement les enjeux et l’attachement émotionnel envers nos protagonistes.
La première, plusieurs décennies avant notre histoire, vient poser les bases de la vie des mineurs en plein travail. Une chanson, chanté en chœur, vient appuyer le lien entre ces hommes – et enfants – conscients de leur enfer dans une émouvante unité.
Ensuite, le récit prend la direction du Maghreb, pour y retrouver le personnage d’Amir (Amir El Kacem). Confronté à la misère dans son pays, ce dernier réussit à se faire embaucher par la France et rejoint ainsi les mines du Nord. Extrêmement parlante, la séquence met la lumière sur ce que la colonisation engendre, promettant une vie meilleure à des individus rêveurs et désespérés. C’est ainsi traité comme une bête partant à l’abattoir que la séquence se referme pour passer du jaune au gris, du pays natal à l’enfer.
Enfin, et c’est ici que le film impose son style, une longue séquence – où le personnage de Berthier (Jean-Hugues Anglade) arrive – raconte et montre l’organisation des terrains miniers français. Dans des décors à couper le souffle et un rythme musical fort, Mathieu Turi y fait entrer le spectateur qui ne peut que se sentir écrasé devant ces angoissantes visions.
Trois séquences et trois propos puissants qui permettent donc au film de scotcher son spectateur au siège pour lui raconter une bonne histoire.
Gueules Noires s’impose comme une belle proposition de genre pour cette fin d’année. Dans la lignée de son dernier film Mathieu Turi prouve qu’il est un visage sur lequel le cinéma français pourra compter les prochaines années tant son cinéma déborde d’idées. Gueules Noires sera-t-il son premier pas vers le grand public ? Verdict le 15 novembre dans les salles de cinéma.