Good One d’India Donaldson : Promenons-nous dans les bois

Sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes du Festival de Cannes 2024, Good One débarque tardivement dans nos salles françaises. Coming-of-age naturaliste, le film dresse – dans son ennui – un portrait d’une grande finesse de la banalisation d’une forme de mansplaining et de violence. Voici notre critique doublée d’une interview de la réalisatrice du film, India Donaldson.

Comment devient-on adulte ? La question peut paraître naïve. Mais c’est bien ce que la cinéaste américaine India Donaldson se risque à illustrer dans Good One, dans une forme quasi-documentaire. Si la forme semble imparfaite, le film devient un objet de dissection passionnant, conscient de lui-même et du temps qu’il laisse aux analyses instantanées.

« Sam (Lily Collias), 17 ans, préférerait passer le week-end avec ses amis, mais elle accepte de rejoindre son père Chris (James LeGros), dans la région des montagnes Catskills de l’Etat de New York. Un endroit paradisiaque où Matt (Danny McCarthy), l’ami de toujours de Chris, est hélas également convié. »

© International Pigeon Production

Le dialogue du silence

Des craquèlements, du vent et de l’eau. L’ambiance sonore de Good One pourrait se caricaturer à ces éléments. Parfois, une voix douce sort de ce silence avant de le laisser reprendre le dessus. C’est dans ce décor et cette ambiance brute que la réalisatrice India Donaldson décide de jouer son récit. Une randonnée, trois personnages et très peu de péripéties. La réalisatrice nous explique : « Sam, le personnage principal, parle le moins dans le film, et les deux hommes sont très mal à l’aise avec le silence. Ils remplissent l’espace avec beaucoup de conversations. Je voulais capturer l’humour de façon naturelle, comme les gens parlent. Mais j’ai aussi essayé de mettre en lumière Sam comme celle qui écoute, ce que ça signifie de faire parti de ces conversations. »

Slow one

Pour tenir un minimum le spectateur, la cinéaste adopte une posture de privation. Elle laisse nos yeux étonnés mais captivés par ce qui semble s’annoncer : majoritairement rien. Mais rarement en manque d’idée, le film garde en tête son point d’arrivée et ne manque pas les quelques étapes nécessaires à la construction narrative et affective du personnage de Sam. Pour cela, on pose « la caméra près de Sam, qui observe ce qui se passe entre les deux hommes hors de l’écran. [Afin de] capter l’attention du spectateur vers l’expérience interne de Sam. »

Très justement interprétée par la comédienne Lily Collias, Sam est une jeune femme en pleine transition vers l’âge adulte. Observatrice, cette randonnée devient le moment clé de ses débuts vers ce nouveau chapitre de la vie. Entourée de son père Chris et de son ami Matt, la jeune femme limite ses prises de parole, pour la plus grande gêne des deux cinquantenaires qui ne peuvent s’empêcher de meubler ces silences avec des banalités machistes. Tout en subtilité, India Donaldson met en scène ces moments avec une douceur surprenante, appuyant à nouveau sur la banalité de ces propos, comme si Sam devait s’habituer à cela pour la suite de sa vie.

Une rupture sans crescendo

Pour un film qui traite du silence, le point de rupture arrive logiquement avec la scène la plus bavarde. Après une longue discussion – banale – au coin du feu, Chris part dormir. Ne restent plus que Sam et Matt. Ce dernier, sur le ton de la blague, propose à la jeune femme – fille de son ami – de venir dormir avec lui pour lui tenir chaud. C’est une rupture sur la gravité du propos. Une rupture par le visage de notre protagoniste, qui semble se réveiller d’un long rêve et commence à prendre conscience d’elle, de son corps et du pire des rapports humains.

La force de cet événement, en termes de scénario, intervient quelques minutes plus tard. Sam, le lendemain, raconte à son père le moment en question. Dans un flegme imperturbable, ce dernier ne réagit qu’en demandant à sa fille s’il ne serait pas possible de passer une bonne journée…

Doser le temps

La réalisatrice parvient, à travers une approche presque documentaire, à cloisonner ses personnages dans un espace immense. D’après India Donaldson, « le film se rattache beaucoup au scénario mais je pense que la présence de la nature est venue du tournage, et comment on l’a intégré au montage. On n’aurait pas pu l’anticiper. Donc, je pense que la nature et la forêt sont devenues un autre personnage dans le film ». Un enfermement en extérieur qui sera synonyme d’introspection pour la jeune Sam.

Longtemps attendus, car nos cerveaux cinéphiles se sont formatés aux mêmes constructions de récits, le climax et l’explosion de la protagoniste n’auront pas lieu. Du moins, sous la forme classique que la montée en tension pouvait laisser présager. Sans en dévoiler davantage, Good One manque de quelque chose pour conclure sa narration sans laisser un goût de déception en bouche. Ici, c’est le dosage de son rythme et du rapport entre les moments clés du scénario et des séquences contemplatives qui pêche parfois. Toujours beau, le film en devient souvent et toutefois soporifique. Toujours tendre, Good One manque de faire réagir tant ce qu’il se passe devrait le faire.

© International Pigeon Production

Un premier film remarquable et remarqué pour la cinéaste américaine. Si un tiers de Good One manque de consistance ou de compréhension, India Donaldson offre un premier rendu de son cinéma, d’une grande tendresse et d’une provocation qu’il nous semble passionnant de continuer à suivre.

Propos recueillis par Margot Costa

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