Flow | Entretien avec Ron Dyens, producteur du film

Flow interview Ron dyens

Lors de la dernière cérémonie des Oscars, face aux géants de l’animation hollywoodienne, c’est finalement l’histoire d’un chat en quête de survie qui a su conquérir les cœurs. 

À cette occasion, nous avons eu la chance de rencontrer Ron Dyens, producteur français du film, pour revenir avec lui sur le processus créatif de cette oeuvre unique, de ce qu’elle représente à ses yeux, mais aussi parler de l’aura singulière qui entoure Flow et son réalisateur, Gints Zilbalodis. En effet, si le film est une prise de risque énorme dans l’industrie, il est aussi une démonstration de force et, comme dirait son producteur, un coup de pied dans la fourmilière.

Entre des méthodes de fabrication inhabituelles, une narration sans dialogue et un récit écologique, Flow était destiné à de grandes choses que l’on aborde durant cette conversation. Nous vous proposons ici des moments choisis de notre échange avec Ron Dyens. L’entretien complet est disponible sur YouTube en suivant cineverse.fr

Flow, le chat qui n'avait plus peur de l'eau, réalisé par Gints Zilbalodis et produit par Ron Dyens
@ Sacrebleu Productions
CINEVERSE : Ron,pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre rôle dans la production de Flow ?

RON DYENS : Bonjour, je suis le producteur français Ron Dyens, de Sacrebleu Productions. Ma société existe depuis à peu près 25 ans. J’ai produit cinq ou six longs-métrages d’animation et une centaine de courts, et notamment le film Flow de Gints Zilbalodis. J’ai eu la chance de voir son premier long-métrage, d’être fasciné par le film et de lui proposer à distance via Messenger de travailler sur son prochain film, alors qu’on n’avait jamais fait de 3D jusque-là. Nos films étaient principalement des films en 2D. Mais ce n’était pas un critère pour lui. Il était en train d’écrire et il m’a dit qu’il me recontacterait une fois qu’il aurait écrit le film et le scénario. Et donc, c’est ce qu’il a fait. Et évidemment, je me suis jeté dessus.

On parlera plus longuement de Flow après. J’ai remarqué que vous aviez réalisé beaucoup de courts-métrages et vous êtes ensuite passé par la production. Pourquoi ce changement dans votre carrière ?

RON DYENS : Avant d’être réalisateur, j’avais écrit des scenarii. Enfin, c’était un peu de tout, des pièces de théâtre, des poèmes, des nouvelles. Et un jour, j’ai rencontré un producteur qui m’a proposé de me produire. Et en fait, il n’a rien fait. Puis, j’ai rencontré un deuxième producteur qui a proposé de me produire, mais qui n’a rien fait non plus. Et puis, un troisième. Et puis, à un moment, comme on dit en italien, « va fanculo« . J’ai eu la chance à ce moment-là d’avoir un accident de voiture et de me faire cambrioler. Avec l’argent de l’assurance, j’ai créé Sacrebleu et j’ai produit mon film qui n’a pas du tout marché.

Je me suis retrouvé après avec une boîte de production sur les mains, un film qui n’a pas marché. Et donc, j’étais obligé d’apprendre un peu le métier. Et mon film suivant a très, très bien marché. Il a fait plus de 150 festivals. Il a été vendu à une quinzaine de télévisions françaises et étrangères. Et je me suis dit que j’allais peut-être essayer de donner ce que je n’ai pas reçu, moi, en tant qu’auteur, à des auteurs. Je pense que ce n’est pas la même façon d’être en étant producteur et en étant auteur. Ce sont d’autres contraintes. Et moi, ça me plaît beaucoup de participer à la création de beaux objets.


« Ce que j’aime beaucoup dans l’animation, c’est que ça prend du temps. Ça permet d’échanger avec des gens, de les voir au travail »


Vous avez une appétence pour le film d’animation. Flow, c’est le cinquième long-métrage que vous produisez, plus la multitude de courts-métrages d’animation. Qu’est-ce qui vous plaît autant dans le fait de produire de l’animation ?

RON DYENS : J’ai commencé par le live. Moi, je viens d’une formation d’arts plastiques et de littérature. Mais un des trucs que j’ai préféré dans mon éducation, c’étaient les cours de peinture sur des formats raisins, donc 50 par 65, où c’était très convivial, où on s’échangeait les tubes de peinture, où on se parlait, on pouvait parler, parce que de toute façon, chaque peinture était un objet unique. Et ça allait à l’encontre de tout le système éducatif français. Puis après, quand on passe dans la vie active, on nous dit qu’il faut apprendre à travailler ensemble. Donc, il y a des paradigmes très opposés qui se confrontent. Et moi, ce que j’aimais bien, c’était que, pendant ces cours, on était tous ensemble, il y avait une vraie ambiance, on rigolait en travaillant, en faisant nos devoirs, nos contrôles. Ça, c’est le premier point.

Le deuxième point, c’est que j’aime bien réaliser des films live, des films de fiction, mais je n’aime pas en produire parce que je trouve qu’il y a un côté très climax pendant la production du film. C’est-à-dire qu’on a peu de temps, on manque de financement dans quasiment tous nos films, donc on doit tourner beaucoup en peu de temps. Et donc chacun est à sa tâche, le fait plus ou moins bien. On se retrouve pour le déjeuner ou pour le dîner […]. Donc, c’est cinq à sept semaines sur un long métrage, on va dire. Et puis après, l’ingé son va sur un autre film, la chef déco va sur un autre projet. Toute cette émulation qu’on a pendant cinq à sept semaines, elle est dédiée au travail, mais un peu moins aux relations humaines, je trouve.

Ce que j’aime beaucoup dans l’animation, c’est que ça prend du temps. Ça permet d’échanger avec des gens, de les voir au travail. Donc, moi, c’est un truc que j’aime bien, parce que je n’ai peut-être pas toujours le temps à un moment donné, mais je sais que je peux l’avoir un peu plus tard. Donc c’est vraiment une relation humaine qui est, à mes yeux, très, très, très importante.

Vous produisez aussi beaucoup de courts métrages. Est-ce qu’il y a une différence fondamentale entre la production de longs et de courts ? L’enjeu va-t-il être différent ? Est-ce que, dans le court métrage, vous arrivez à retrouver un peu ce rapport humain que vous avez dans le film d’animation ?

RON DYENS : Je le retrouve parce qu’il y a d’autres contraintes qui sont des contraintes financières. Elles doivent être compensées par d’autres choses, c’est-à-dire une relation humaine avec le réalisateur qui est moins payé, comme nous […]. Mais il y a aussi plus de liberté. Donc, qui dit plus de liberté dit moins de barrières, moins de censure. Et, évidemment, il faut aller dans la même direction. Et ça peut, justement, être très sympa et très drôle parce qu’on va explorer des choses. Sur un long métrage, on a tendance à, peut-être, un peu plus se contrôler. Et donc, il faut toujours être très vigilant. Mais j’aime beaucoup produire des courts métrages. Par contre, effectivement, c’est presque aussi dur que de faire des longs métrages.


« Flow, c’est un film qui nous rend sensibles et intelligents »


On va maintenant s’intéresser à Flow. C’est un récit écologique, prenant, qui met en scène la nature et les animaux. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce film et qu’est-ce qui a fait que ce film était LE film que vous deviez produire ?

RON DYENS : C’était d’abord une rencontre avec un réalisateur qui a fait un film précédent qui s’appelle Away, qui, comme je dis souvent en fait, est un film que j’ai regardé sur mon écran d’ordinateur, ce qu’il ne faut pas faire. Mais quand je l’ai vu la première fois, j’étais littéralement hypnotisé. C’est-à-dire qu’en fait, je n’ai rien fait à côté. […] Ça m’a complètement hypnotisé et je me suis dit : « mais ce mec, il faut que je le produise ». Et donc, il m’a envoyé ce projet. Le sujet principal racontait l’histoire de ce petit chat qui apprend à cohabiter sur un bateau avec d’autres animaux et qui apprend à se socialiser. Et puis, finalement, on part d’un moment qui est post-apocalyptique où il est en danger, à un moment où, sur cette barque qui dérive un peu, il y a un groupe qui se crée, un groupe d’animaux différents qui se créent.

Si on le remet dans le contexte, c’est l’histoire de Gints. Jusque-là, il avait toujours fait ses films tout seul. Et il a rencontré du succès sur Away, puisqu’il a eu le Grand Prix Contre-Champs à Annecy, il y a quelques années. Il s’est confronté, en faisant la tournée des festivals, à d’autres réalisateurs, d’autres personnes. Et il s’est dit qu’il avait envie de travailler en équipe. Il a créé une histoire qui est son histoire et il l’a mise en abîme en faisant travailler une équipe à son service, mais pour apprendre aussi à se socialiser, sans savoir si ça allait marcher ou non. Et ça a complètement marché. C’est ça qui est délirant. C’est que, en fait, tout était complètement fluide, serein. Avec toute l’équipe, il n’y a eu aucune esclandre. Mais ça, c’était la note d’intention qui a été mise dans le dossier pour les partenaires financiers.

À mesure que j’ai vu le film se construire, j’ai commencé à faire des liens entre tous ces éléments et à me construire une symbolique de l’histoire. C’est un film qui nous rend sensibles et intelligents. Et ça, c’est génial. Des gens sont extrêmement touchés. Pour moi, c’est un peu un film comme David Lynch, parce que c’est du métalangage. On voit un film de David Lynch, on ne comprend pas tout. Mais en même temps, on a un sentiment d’intelligence parce qu’on est dans une narration, dans une sorte de métalangage qui fait qu’on se pose des questions et que c’est un peu comme une partie d’échec. On va réfléchir à deux, trois coups […]. Là, tout d’un coup, on se dit que ça fonctionne. Je me sens intelligent parce que ça a l’air de marcher.

Flow, le chat qui n'avait plus peur de l'eau, réalisé par Gints Zilbalodis et produit par Ron Dyens
@ Sacrebleu Productions

Retrouvez aussi notre critique de Flow en cliquant ici. 


Vous disiez qu’il y avait une sorte de métalangage et que tout était dit, ce qui est assez paradoxal, parce que le film se déploie dans sa narration visuelle. Et c’est un film muet dans le sens où il n’y pas de langage humain. Est-ce que vous considérez que les enjeux sont différents quand on produit un film à la fois d’animation et un film muet ? 

RON DYENS : Sans dialogue, et non muet, puisque les animaux parlent, mais ils ne se comprennent pas. Ils parlent leur langage. C’était notre grande angoisse vis-à-vis des partenaires financiers, mais on a eu la chance que Away existe avant et tous ont vu son film précédent et ont été hypnotisés. Donc c’est comme s’il y avait un premier film, un premier calque qui avait été fait à l’époque et qui était rassurant. Et le fait qu’il y ait une structuration, des productions derrière, qui viennent rassurer, ça a donné envie aux chaînes de télé et aux différents partenaires de rentrer sur le nouveau film plus ambitieux, et je ne pense pas qu’ils le regrettent.

Après, il ne faut pas oublier que des OVNIs comme Flow, comme The Artist ou comme La Haine, à la base on dit « non, ça ne peut pas marcher ». Et puis finalement, ça marche, mais effectivement, on est complètement à contre-courant des films d’animation Pixar, DreamWorks où les animaux sont anthropomorphisés, ils parlent comme des humains. Et des budgets à 200 millions. Nous, on est à 3 millions et demi, donc on a tout pété avec ce film. Et c’est plutôt cool, ça montre que les gens, même s’ils vont voir des Pixar et des DreamWorks, ils aiment bien aussi voir d’autres choses et être surpris, donc c’est très rassurant sur ce qu’il y a dans la tête des humains.

J’ai entendu dans d’autres interviews que Flow est un film touché par la grâce, qu’il était né sous une bonne étoile. Vous dites que c’était fluide, que tout s’est bien passé. Est-ce que vous pouvez revenir sur ces mots et me parler de cette impression ? Ce n’est pas un sentiment qui est habituel quand on produit un film ?

RON DYENS : Non, bien sûr. Mon film précédent m’a coûté très très cher parce qu’on n’a pas eu la télévision […], j’ai fait des emprunts qui m’ont mis en danger. Je passe vraiment d’un sentiment à un autre […]. J’ai pris un risque personnel très très important qui a failli fermer la boîte. Et là, tout d’un coup, on se retrouve avec ce film, avec un réalisateur qui envoie des sortes de vibrations, comme de l’eau effectivement, auprès de tout le monde, alors qu’il n’a jamais fait un film en équipe. Il arrive à s’exprimer, à rassurer. C’est ce que je disais, on avait tout faux, un film sans dialogue, d’animaux non anthropomorphisés, un réalisateur qui n’avait jamais travaillé en équipe, étranger, avec les difficultés de la distance.

Il est né sous une bonne étoile parce qu’on a trouvé tous les financements, parce qu’on l’a fait en temps et en heure comme on se l’est fixé, on n’a pas eu de dépassement, l’ambiance était géniale. Dès Cannes, on a eu dix minutes de standing ovation, on a eu tous les prix à Annecy, c’est génial. Qu’est-ce que je peux dire de plus ? Ce mec est un génie, il est d’une gentillesse absolue, on va faire le prochain film ensemble. Il n’a pas signé pour les sirènes hollywoodiennes qui lui proposaient des dizaines de millions. C’est quelqu’un qui est fondamentalement honnête. Donc je suis un producteur extrêmement heureux et je l’exprime.


«  Il y a une sorte de démocratisation qui s’opère. On a mis un coup de pied dans la fourmilière hollywoodienne de Pixar, DreamWorks et Disney. »


Flow c’est aussi un film qui a été fait sur Blender, et donc sur un logiciel gratuit. Que pensez-vous de ce processus ? Est-ce que ça peut ouvrir des voies vers des productions indépendantes plus abordables ? Est-ce que vous encouragez cette méthodologie ?

RON DYENS : Oui, c’est toujours la même idée. Ce sont des processus qui sont propres à toutes les formes d’art, c’est-à-dire que, avant d’avoir des tubes de peinture, il fallait fabriquer sa propre peinture. On ne pouvait pas peindre à l’extérieur.

La musique, c’est pareil : avant, pour écouter de la musique, il fallait un quatuor, et puis il fallait savoir jouer aussi. Aujourd’hui, il suffit d’un CD, d’un lien Spotify pour écouter de la musique partout. Les artistes peuvent très facilement composer leur musique. D’ailleurs, Gints a aussi composé la musique de son film sans rien connaître du solfège. Il y a une sorte de démocratisation qui s’opère. On a mis un coup de pied dans la fourmilière hollywoodienne de PixarDreamWorks et Disney.

Tout d’un coup, on passe d’un budget de 200 millions à un budget de 3,5 millions, et ça, ils ne s’y attendaient pas. Pour vous donner une image, on est le film le moins cher des films qui ont gagné le Golden Globe et l’Oscar, mais on est dix fois moins cher que le film le moins cher d’avant. C’était Pinocchio à 35 millions. Donc on explose le marché et c’est terrible pour eux. Et ça va donner une ouverture aux artistes, aux producteurs.

Ce qui est important, c’est de se différencier, c’est de faire des choses originales. Ça a toujours été le crédo de Sacrebleu et il y a plein d’artistes qui ne pouvaient pas le faire parce qu’ils n’avaient pas les réseaux, parce qu’il y a des producteurs qui étaient un peu plus frileux, etc. Mais si tout le monde joue le jeu, on est à l’aube d’un game changer, d’un milestone. Non seulement c’est un film dingue, mais surtout, c’est un film bascule.

Pour finir, est-ce qu’il y a un film que vous aimeriez recommander et est-ce que vous avez un souvenir à raconter, qu’il soit au cours de votre carrière ou votre meilleur souvenir au cinéma, par exemple ?

RON DYENS : Oui, j’en ai un. À 9 ans, j’ai vu un film qui m’a profondément traumatisé et je n’ai jamais su de quoi il s’agissait, jusqu’à mes 25 ou 27 ans, où je l’ai vu dans un cinéma. C’était au Passage du Nord-Ouest à Paris, où il y avait des projections en 35 mm de films. C’est Les Chiens de paille de Sam Peckinpah. Je ne savais pas du tout de quoi il s’agissait, mais c’est un film très violent. D’ailleurs, après, je suis devenu réalisateur et producteur. Voilà, ça, c’est Les Chiens de paille à recommander, mais peut-être pas à 9 ans. 

– Entretien réalisé le 13 mars 2025

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