Avant d’avoir des cow-boys, il faut avoir des vaches. Sans vache, inutile d’embaucher ces garçons vachers, guidant les troupeaux de bétail vers leurs pâturages. First Cow, le nouveau long-métrage de Kelly Reichardt présenté au Festival de Deauville 2020, ne raconte pas l’histoire du premier cow-boy des USA. Il raconte l’histoire d’avant : celle de la première vache du territoire.
C’est difficile à imaginer de nos jours, et pourtant le saviez-vous ? Les vaches n’existaient pas aux Etats-Unis avant leur importation par les colons européens. First Cow raconte précisément l’arrivée de ce noble animal dans une région reculée du Far West, l’Oregon, au milieu du XIXe siècle et la manière avec laquelle Cookie Figowitz (John Magarow) un chef cuistot, va s’emparer illégalement de son lait pour… cuisiner des gâteaux.
Un western naturaliste
Les habitués de la filmographie de Kelly Reichardt ne seront pas dépaysés : Formellement, First Cow est un western naturaliste, comme l’était la Dernière Piste, son quatrième long métrage. Jonathan Raymond, co-scénariste, est encore de la partie, d’autant plus qu’il adapte ici son premier roman, The Half Life. Christopher Blauvelt est une nouvelle fois chargé de la photographie, et délivre une composition naturaliste valorisant avec réalisme, les forêts et environnements pastoraux.
Cette reconstitution bucolique du quotidien de ces pionniers de la Frontière, est une réussite remarquable du film, qui immerge facilement le spectateur dans cette époque de l’Amérique sauvage. L’étonnante combinaison entre le format 1,37 :1, qui restitue une image « carrée » rappelant les débuts du cinéma, et la parfaite définition de la caméra numérique Arri Alexa, rajoute à cette sensation de voir quasiment un documentaire qui aurait été filmé directement en 1850, par le truchement d’un curieux anachronisme.
Un parti-pris lassant
La nature inspire-t-elle le cinéma ? Ou bien est-ce l’inverse ? En cherchant à coller au plus près du « vrai », Kelly Reichardt renonce à verser dans le spectaculaire. L’utilisation de la lumière naturelle, la lenteur du rythme, la quasi absence de musique, accentue cette volonté de tenter de reconstituer le réel, ses silences et ses absences d’action. Ce parti-pris, durant les deux heures bien tassées que dure First Cow, finit pourtant par ennuyer ferme.
Les ambitions pâtissières de Cookie Figowitz, aussi courageuses qu’incongrues dans un milieu aussi hostile et dangereux, ne manquent pas de poésie. Il est émouvant de suivre sa courte success story, où le pouvoir gustatif de ses douceurs lactées, parvient à attendrir les pionniers les plus bourrus. Émouvante aussi, est la relation qu’il noue avec cette fameuse vache, avec une empathie animaliste métaphoriquement édénique. Le lait, devenu un Or blanc, retrouve ici sa valeur de substance primordiale, essentielle à la survie de tous les mammifères, humains compris.
Les intentions sont là. Mais il faut bien reconnaître que la recette de First Cow peine à se renouveler, sans pouvoir retenir l’intérêt du spectateur. Mêler un tel ascétisme de la forme et de sa rythmique, à un sujet aussi aride que la confection de biscuits dans l’Ouest américain du XIXè siècle : ce n’est pas de la tarte. Il est à craindre que cette histoire du meilleur confiseur de l’Ouest Sauvage, n’intéressera que les aficionados de Cyril Lignac et autres téléspectateurs de l’émission Le Meilleur Pâtissier.
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