Shinya Tsukamoto : Notre sélection de 5 films

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Alors que Carlotta sort ces jours-ci un coffret contenant dix films choisis parmi la prolifique filmographie de Shinya Tsukamoto, CinéVerse vous en propose une sélection, cinq films qui nous apparaissent particulièrement intéressants dans le parcours du cinéaste.

« Un coffret somme inédit pour se plonger dans l’oeuvre magistrale de Shinya Tsukamoto, maître japonais du cyberpunk »

On connaît surtout en France Tsukamoto pour le coeur de son oeuvre, le noyau dense formé entre 1989 et 1998 de Tetsuo à Bullet Ballet, sous l’impulsion et la curation de Jean-Pierre Dionnet. Carlotta la reprend à son compte, et la complète par d’autres oeuvres moins connues et plus récentes du cinéaste.

Le coffret contient les dix films suivants :

LES AVENTURES DE DENCHU KOZO (1987 – Couleurs – 46 mn)
TETSUO (1989 – N&B – 67 mn)
TETSUO II : BODY HAMMER (1992 – Couleurs – 81 mn)
TOKYO FIST (1995 – Couleurs – 88 mn)
BULLET BALLET (1998 – N&B – 87 mn)
A SNAKE OF JUNE (2002 – Couleurs – 77 mn)
VITAL (2004 – Couleurs – 85 mn)
HAZE (2005 – Couleurs – 48 mn)
KOTOKO (2011 – Couleurs – 92 mn)
KILLING (2018 – Couleurs – 80 mn)

Parmi ces films-là, CinéVerse a choisi d’en présenter cinq qui éclairent le mieux le parcours artistique du cinéaste (sans pour autant en constituer le top 5).

TETSUO

Une image tirée du film Tetsuo
© Carlotta Films

Oeuvre matricielle du cinéma de Shinya Tsukamoto, difficile d’écrire sur lui sans écrire sur elle. Le film rend évident le rapprochement avec Cronenberg, puisqu’il pourrait être un remake de La Mouche où l’insecte aurait été remplacé par un boulon. La thématique de la chair contaminée par le métal incarne le lent processus de dévitalisation de ses personnages, que la ville de Tokyo enferraille, et est merveilleusement illustrée par ce noir et blanc brut et froid comme l’acier.

Film coup de poing dans son sens le plus littéral, qui agresse les sens (à commencer par l’ouie, l’incroyable bande-son bruitiste de Chu Ishikawa), c’est aussi la profession de foi de Tsukamoto, qui vomit au public son modus operandi : petit budget, petite durée, mise en scène entre le (cyber)punk et l’expressionnisme, et un faible avéré pour le bricolage, témoin l’intrusion d’un stop motion étrange et dérangeant, qui rappellera Jan Švankmajer.

A SNAKE OF JUNE

Une image tirée du film "A Snake of June"
© Carlotta Films

Prolongement thématique de Tetsuo, le film s’intéresse encore à l’aliénation citadine, et pose un cadre similaire : le film en espace(s) clos, une photographie monochrome, et des personnages manipulés par une entité en surplomb.

La forme pourra sembler plus apaisée, et sa pellicule érotique puise dans l’imagerie du pinku eiga des années 60, autant que dans celle de la photo de charme. L’image bleue-grise, choisie pour les courbures que dessinent ses contrastes, est celle des reflets du bitume des mois d’été, et le « serpent de juin » est celui qui fait sa mue avec la saison humide, celui qu’une pluie incessante ramène à l’existence et le rappelle à sa chair.

VITAL

Une image tirée du film Vital Shinya Tsukamoto
© Carlotta Films

En passant au numérique, le cinéma de Tsukamoto se fait plus clinique, quasiment atone. S’il fallait poursuivre la filiation avec Cronenberg, ce serait plutôt celui de la chair triste, quelque part entre Cosmopolis et Crimes of the Future.

Le film raconte l’histoire d’un étudiant en médecine amnésique (Tadanobu Asano, peut-être la plus grande star que Tsukamoto ait dirigée) qui, lors de son stage de dissection, découvre que le cadavre sur sa table d’autopsie est celui de sa petite amie, décédée lors de l’accident de voiture où il aura perdu la mémoire.

Commence alors une dissection méticuleuse, obsessionnelle, à la recherche d’un reste de vie, d’un recoin caché derrière organes et tendons, qui dissimulerait une trace de notre passage sur Terre. Malgré des longueurs (les films de Tsukamoto ont beau rarement dépasser les 90 minutes, de par leurs expérimentations ils ne brillent pas toujours sur un plan narratif), un poème désespéré sur la l’implacable contingence de l’existence, et l’impossibilité de l’Au-Delà.

HAZE

Une image du film Haze
© Carlotta Films

Un moyen métrage claustrophobe difficilement soutenable. L’histoire d’un homme perdu dans un labyrinthe dans lequel il peut à peine se mouvoir. Un dédale de tuyaux, de clous, de barbelés, de corps démembrés, qui ne sera pas rendu digeste par une charge ludique façon Saw. Un homme seul face aux ténèbres, littérales et symboliques, un Joueur d’Echecs dont la chambre d’hôtel serait un couloir d’un mètre de large.

La véritable horreur du film réside dans son horizon noir, quand privé d’espace le temps devient une autre prison.

KILLING

Une image du film Killing Shinya Tsukamoto
© Carlotta Films

Dernier film en date de Tsukamoto, Killing dénote d’évolutions thématiques drastiques : chambara tourné en décors naturels, cette méditation sur la violence oscille entre réalisme – celui des postures de combat, des costumes, et des mœurs rurales au temps du Bakumatsu – et enjeux théâtraux, en dépeignant la lutte d’un ronin contre la violence de sa fonction.

Malheureusement, le film souffre d’une forme indigne, et l’image numérique sans fard accentue l’impression d’amateurisme qu’il dégage, pour une conclusion ironique : le dernier film de Shinya Tsukamoto, qui souffre certainement d’un budget encore plus réduit que d’habitude, est celui qui ressemble le plus à un premier. Film de patrimoine, vierge d’expérimentations visuelles, thématiquement résolu, on pourrait parler là du « film de la maturité », ce qui, pour un cinéaste aussi punk et iconoclaste, n’est pas nécessairement un compliment.

Chaque film est accompagné de bonus qui comprennent des interviews du réalisateur, toujours passionnant quand il s’agit de commenter ses oeuvres, et divers making-off et documentaires.

Le coffret Shinya Tsukamoto en dix films est disponible chez Carlotta

 

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