Évanouis nous demande : que peut-on adorer plus qu’un film d’horreur qui nous inquiète dès son poster ? Peut-être la joie rare et précieuse d’un film attendu qui, en plus, ne nous déçoit pas.
C’est un fait, l’horreur aime les enfants. Reflet d’une innocence corrompue, retour à une forme de bestialité primate ou simple rappel de nos frustrations, ils englobent toute une flopée de métaphores qu’on adore détester. Mais, en leur absence, que peut-on bien filmer ?
« En plein coeur de la nuit, les 17 enfants d’une classe de l’école primaire de Maybrook aux États-Unis se réveillent à une heure précise et s’enfuient de leurs foyers. Mus par une force inébranlable, ils sont partis à la course et personne ne sait où ils s’en sont allés. Tous ont disparu, sauf un. »

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À grands coups de communication agressive mais intelligente, on nous vend Évanouis comme un nouveau messie horrifique, une forme hybride du thriller psychologique et d’elevated horror, si tant est que le terme veuille dire quelque chose. Un mixage barbare, mais efficace, tant les campagnes ont pu faire couler de l’encre sur les réseaux.
Le film du désormais établi Zach Cregger (Barbarian, 2022) s’ouvre sur un travelling avant, dont la parallaxe malaisante rappelle le point de vue des enfants : courant mécaniquement, en ligne droite, à travers la nuit. En faire le premier plan donne une tonalité visuelle à l’œuvre. Travellings, dollies, caméra épaule et panoramiques, la mise en scène s’avère d’une générosité parfois étouffante. Mais cet étouffement a l’intelligence de relâcher son emprise pour laisser respirer non pas le spectateur, mais ses effets horrifiques.
Le style d’une nouvelle vague horrifique, tardive mais réelle, dont fait partie Cregger, subit directement l’influence de la précédente vague représentée par la « trinité » Aster-Peele-Eggers, parfois attribuée à tort à la société A24. Une esthétique propre et distinctive, cherchant plus à appuyer le propos qu’à servir d’effet stylistique comme pouvait le faire la French Frayeur. Ici, la mise en scène est à bras le corps de ses personnages : un manque certain d’innovation, mais la maîtrise technique est telle qu’elle nous colle au fauteuil dans ses moments de tension.
Une scène en voiture, d’un seul et unique plan, s’avère l’une des plus efficaces du film, alors que ladite voiture – comme la caméra – n’avancent pas d’un pouce. Et une autre jongle entre l’horreur et le burlesque avec maestria, dans une maîtrise qui rappelle, sans les citer directement, des films comme Hérédité (2018), Kairo (2006) ou encore L’étrange cas Déborah Logan (2014). De vraies scènes gores et généreuses apparaissent au milieu de ces séquences plus sobres, faisant resurgir toute la mollesse et la fragilité du corps humain. En ré-équilibrant ce rapport au corps, Zach Cregger nous rappelle la réalité derrière les parfois grands-guignolesques gerbe de sang du cinéma horrifique.
Les enfantômes
Comme LongLegs (2024) de Osgood Perkins, on se prend vite à imaginer ce que le film peut être avant d’élaguer ce qu’il ne sera sûrement pas : une révolution. Et là où le marketing du premier cité, dans toute sa grandiloquence, pouvait manquer de subtilité, Évanouis joue la carte de la sobriété : 17 enfants ont disparu, nous n’en savons pas plus. Ici, un lien direct est à faire entre le scénario et la mise en scène : c’est un film à high-concept pitch. Tout comme on appuie cette disparition, sans en dévoiler d’avantage car c’est efficace en l’état, la communication et l’intrigue se basent majoritairement sur cet image d’enfant courant dans la nuit, les bras écartés.
On ne filme pas ce qui a disparu ; car sans cadavre : pas de morts. Alors le film ne se contente pas de traiter les enfants comme des victimes, mais comme un seul et même personnage indistinct. Ils forment une entité pesante, une ombre qui plane sur la ville et la vie des personnages, ils sont déshumanisés, n’ont plus de visage. Enfin l’horreur accepte d’utiliser l’enfant comme outil archétypal de son propos, sans chercher une compassion pesante. Même les citoyens qui n’ont pas d’implication directe avec l’incident se retrouvent rongés par le drame, dont la gravité est d’une évidence simple : il touche un groupe d’enfants. Leur présence est bruyante, leur absence pesante. Et le manque infeste, comme un parasite.
Plusieurs mentions au parasitisme sont disséminées dans l’œuvre. À l’image du mal qui s’immisce, ces images sont posées, ça et là. De la mention d’un cours sur le ténia au tableau, au documentaire sur le désormais connu cordyceps à la télé, le parasite fait ce qu’il sait le mieux faire : s’immiscer. D’ici, Évanouis pourrait pataudement se tourner vers le film attendu : l’épicentre d’un début de pandémie, une expérience qui a mal tourné.
C’est arrivé près de chez eux
Mais la force des Évanouis, c’est la toile de malaise qui se tisse dans autant de directions qu’il y a de personnages, tout en dirigeant sa tête guidée vers son objectif final. Le parasite, le mal, est ici l’image inversée du bien-portant, il renvoie le vice au devant de la scène : parfois, c’est l’alcoolisme d’une jeune professeure qui s’infuse dans sa vie et ses veines, quand les traumatismes présumés d’un père de famille se manifestent sous la forme d’un gigantesque M16, prophétique et inquiétante. Sans se mettre en avant comme tel, le vice se cristallise dans le personnage de Gladys : tante malade du petit Alex, elle s’impose dans sa vie pour venir entamer sa convalescence dans la maison familiale.
En traversant de brefs passages de la vie de ses protagonistes, Évanouis se compose en quelques tableaux. Il remonte son propre fil pour mieux prendre un recul nécessaire sur une histoire invraisemblable, mais diablement efficace. Il se parasite lui-même, en sous-intrigues, en noms, en maisons toutes américaines et identiques. Le film nous perd pour mieux nous concentrer toute sa sève, sa tension et même sa mise en forme dans ce que nous venons chercher ici : ses scènes d’horreur.
