Longtemps adulée pour ses talents d’actrice, Scarlett Johansson se lance, pour la première fois, dans la réalisation avec Eleanor the Great.
Eleanor the Great, sélectionné dans la catégorie Un Certain Regard au Festival de Cannes 2025, bénéficie ainsi d’une exposition de premier ordre. En s’appuyant fidèlement sur le scénario de Tory Kamen — inspiré en partie de son histoire familiale — Scarlett Johansson porte à l’écran une œuvre vibrante.
« Eleanor Morgenstein (June Squibb), 94 ans, tente de reconstruire sa vie après la mort de sa meilleure amie. Elle retourne à New York après avoir vécu en Floride pendant des décennies. »

Cliché ou vérité ?
Dans Eleanor the Great, Scarlett Johansson fait d’une femme de 94 ans son personnage central et dépeint son quotidien avec une grâce indéniable. Ce choix rappelle l’importance des personnages âgés, notamment des femmes, dans nos vies : figures d’aide, de recul, témoins d’une résilience rare et d’un passé qui infuse nos présents. Si la réalisatrice se montre transparente sur l’accompagnement reçu pour représenter ce quotidien avec sincérité, une question demeure : comment se positionne-t-elle vraiment face à la réalité de ces existences ?
Pourquoi ces femmes sont-elles autant délaissées ? Johansson semble d’abord imposer une vision teintée de clichés. Le film s’ouvre sur une scène de choc intergénérationnel presque risible. Mais si ces stéréotypes contiennent une part de vérité, la réalisatrice ne s’y enferme jamais. Elle leur oppose, en contrepoint, la relation d’Eleanor et Nina, d’une sincérité bouleversante. Le message est limpide : appartenir à une communauté solidifie l’expérience de la vie, aussi longue soit-elle, et lui donne un relief précieux.
Catharsis émotionnelle
Eleanor the Great ne brille pas ses prouesses techniques, mais Scarlett Johansson lui insuffle une émotion tangible, qui devient son socle narratif. À travers l’exploration d’une amitié intergénérationnelle née du partage de deuils respectifs, les protagonistes dévoilent une vulnérabilité palpable. Johansson peint leurs vies, leurs joies, leurs tristesses, et suscite une empathie profondément juste.
Toutefois, cet accent émotionnel peut sembler parfois insistant. Johansson repose peut-être trop sur ce potentiel affectif, flirtant avec le mélodrame. Cette surenchère émotionnelle affaiblit la subtilité du propos, bien qu’elle n’en altère pas l’honnêteté.
Malgré cette intention appuyée, le résultat fonctionne. Le spectateur s’investit dans l’évolution du lien entre Eleanor et Nina (Erin Kellyman). Nina devient une fille de substitution pour la nonagénaire, isolée et en décalage avec sa propre fille. Si les relations mère-fille sont rarement authentiques au cinéma, le film met en lumière l’impact positif de cette nouvelle dynamique : Eleanor exprime moins d’animosité, davantage d’intérêt, tandis que le père de Nina apprend à accepter la fragilité nouvelle de leur lien.
Mamy Blue
Eleanor the Great célèbre l’importance des connexions humaines, tout en glissant parfois vers un tropisme philosophique qui amoindrit son réalisme. Scarlett Johansson s’entoure d’un ancien réalisateur de publicités, Pierre Cailliarec, comme sous-directeur, confirmant son intention de « vendre » une idée, une émotion à un public attentif. La tendresse de la photographie d’Hélène Louvart en renforce les instants partagés.
June Squibb livre une performance profondément touchante ; sa capacité à transmettre des émotions frappe par sa sincérité. Cela se révèle notamment dans la scène où éclate la supercherie menée par son personnage : Johansson y utilise une technique de storytelling théâtrale et classique, propre au cinéma américain, qui fonctionne parfaitement en instillant effroi et choc, alors même que le spectateur savait déjà tout.
Si cette usurpation d’identité est finalement « excusée » par un message globalement positif, elle devient le moteur d’une meilleure gestion du deuil pour Eleanor et Nina, scellant leur alliance. Johansson évite toutefois d’en questionner la dimension éthique. Elle contourne même la question spirituelle, privilégiant l’épuration émotionnelle au débat moral.
Un mémoire identitaire
Eleanor the Great s’inscrit dans une lignée de films qui soulignent l’importance du devoir de mémoire. À l’instar de A Real Pain de Jesse Eisenberg, sorti plus tôt cette année, Johansson explore les conséquences d’appartenir à une communauté marquée par un crime contre l’humanité. Qu’ils soient nés juifs (comme Bessie) ou convertis (comme Eleanor), les personnages vivent les répercussions de cette histoire dans leur rapport au monde. Johansson présente l’Holocauste comme une peine à transmission lente, qu’il faut affronter pour ne pas y rester enfermé. Pourtant, la cinéaste n’explore pas totalement les pistes qu’elle ouvre, préférant le mélodrame aux ramifications les plus complexes.
La réappropriation et la revalorisation de son identité composent néanmoins un geste puissant. La quête identitaire offre un soutien essentiel face à la solitude des expériences vécues. En rattachant Eleanor à un passé qui n’est pas le sien, Johansson illustre la possibilité d’un deuil apaisé grâce à une meilleure compréhension du vécu de Bessie et de l’onde de choc qu’il a laissée. Elle fait aussi de New York une toile de fond vibrante, véritable fresque de la présence juive dans la ville, invitant le spectateur à s’y immerger.
