Avec deux gros succès au cinéma, Dune est en passe de devenir l’univers de SF de référence du 7e art. Mais fallait-il vraiment réveiller le ver des sables qui dort dans le désert profond ?
Jusqu’en 2021, Dune de Frank Herbert était une saga littéraire au mieux négligée, et au pire très mal comprise. Elle était notamment sollicitée par des personnes qui voyaient trop grand (Coucou Jodorowsky). Et si l’on reconnaît la plume tellurique du père Herbert, celle du fils Brian, à l’origine du roman qui inspire cette nouvelle adaptation, divise profondément. Malgré tout, une adaptation reste dans un premier temps une approche nouvelle. La série Dune : Prophecy n’est donc pas forcée d’hériter des faiblesses d’un récit qui peine à explorer l’univers qu’il évoque, pas vrai ?
« Dans un futur où l’humanité a voyagé à travers la galaxie des milles planètes, une mystérieuse sororité appelée Bene Gesserit navigue entre les batailles politiques et les imbroglios de l’Imperium. Poursuivant un but bien précis et bien à lui qui va amener ses membres jusqu’à l’énigmatique planète de Dune… »
Shy-Hulud
Denis Villeneuve partait en terrain conquis avec l’appréciation dont jouit l’œuvre de Frank Herbert. Les productions HBO, quant à elles, s’attaquent à la deuxième face de la pièce. Dune : Prophecy promet de nous offrir une meilleure compréhension de l’univers de Dune, en explorant les fondations du Bene Gesserit. Cependant, Brian Herbert est davantage reconnu pour ses récits de surface que pour des ajouts significatifs à l’héritage de son père. Sur cette base fébrile, la série se déploie timidement.
En oscillant entre les différences par rapport au roman, et les scènes préparant le terrain pour l’ère de Paul déjà vues dans les films, une question s’impose. À qui s’adresse cette série ? En effet, les intrigues politiques se montrent, et les personnages se positionnent tels des pions sur un échiquier. Toutefois, l’essence même du Bene Gesserit ne prend véritablement sens qu’après 10 000 ans. Cela est notamment appuyé dans le premier épisode par la communauté qui se prétend à la fois inflexible et intemporelle. De ce fait, la série tombe dans le piège de ne pas nous offrir de révélations inédites, et in fine, de rendre l’utilité de son propos discutable.
À cela s’ajoute un défaut majeur : l’évocation de concepts clés, sans même prendre la peine de les expliciter. Ainsi, Dune : Prophecy semble partir du postulat étrange que les spectateurs sont des connaisseurs aguerris de Dune, tout en présumant qu’ils n’ont vu que les deux films de Denis Villeneuve.
Épice et tout
Cette nouvelle adaptation, qui ressemble à une série pour adolescents, ne permet pas non plus de faire rêver le spectateur. Les films Dune avaient cette part mystique, composée d’éléments intouchables, oniriques. Mais plus que tout, cela paraissait naturel, comme si ces sensations devaient être ressenties sans être expliquées. Dune : Prophecy a le mauvais rôle de donner la source de ces sensations, sans pour autant y arriver.
En effet, tant sur le fond que sur la forme, la série opte pour une démystification systématique. D’abord, avec ces aberrations chromatiques presque constamment présentes aux bords du cadre. Elles tentent de traduire l’onirisme de Dune à travers un prisme trop académique, presque métallique. Ensuite, par cette volonté de « tout expliquer », alors que l’univers de Frank Herbert n’en a nul besoin. Ainsi, la série parvient à l’exploit de survoler ce qui aurait pu être fascinant, tout en approfondissant ce qui ne devrait pas l’être.
Chaque grain de sable
Derrière Dune : Prophecy, de nombreux réalisateurs se sont succédés, ralentissant sans doute le processus créatif global. En contrepartie, cela a apporté une richesse notable au casting. Si la série trébuche sur plusieurs aspects, elle est sauvée en grande partie par la performance de ses actrices et acteurs, dont le jeu fin et nuancé capte l’attention. Emily Watson, Travis Fimmel ou encore Mark Strong se distinguent toutes et tous. Ils sont habités par une tension palpable, semblable à celle que Javier Bardem et Rebecca Ferguson apportaient dans les films. Leur jeu rendent de nombreuses scènes dramatiques pour des raisons qui nous échappent encore, sauvant au passage le mystère qui imprègne l’univers de Frank Herbert.
Pourtant, si les acteurs expérimentés parviennent à maintenir le cap, les jeunes du casting apportent une ambiance trop légère. Cela se ressent particulièrement dans des dialogues assez faibles et des chorégraphies de combat lentes, manquant de crédibilité. Il en résulte l’impression que la série hésite sur l’approche à adopter, s’étirant sans offrir de réel contenu narratif et affichant un ton bien trop lisse par rapport aux attentes et aux enjeux de la série.
Dune : Prophecy est un pari manqué. Les acteurs parviennent à exprimer toute la profondeur et la complexité de l’univers de Dune. En revanche, le scénario reste enfermé dans un cahier des charges trop contraignant, conséquence directe de l’adaptation du roman et d’une comparaison forcée avec les films qui précèdent la série. De ce fait, Dune : Prophecy se dévalue d’elle-même, apparaissant davantage comme un bonus dispensable qu’un incontournable de la saga.