Drive-Away Dolls d’Ethan Coen : Roulez jeunesse

Pour sa première réalisation sans son grand frère Joel, Ethan Coen s’essaie à la pure comédie de série B avec Drive-Away Dolls, un road-trip lesbien aux personnages rigoureusement caricaturaux.

Un casting réduit pour laisser le temps à la comédie d’opérer. En faisant ce choix, Ethan Coen mise sur le talent de ses comédiens pour tenir le rythme effréné de son œuvre. La moindre des choses à admettre, c’est que le procédé fonctionne. Margaret Qualley, Géraldine Viswanathan, Colman Domingo ou encore Joey Slotnick tiennent la baraque et les situations grotesques s’enchaînent.

« Jamie (Margaret Qualley) et son amie Marian (Geraldine Viswanathan), sont à la recherche d’un nouveau départ, elles se lancent dans un road trip mais les choses tournent mal lorsqu’elles croisent en chemin un groupe de criminels bras cassés. »

© Focus Features. LLC.

L’Impasse

Si les frères Coen avaient pu nous habituer à des scénarios originaux d’une grande richesse narrative, la panne sèche vient de tomber sur Drive-Away Dolls. Cocasse. En effet, si cette création ressemble davantage à un essai de style de la part de son réalisateur, Ethan Coen a toutefois voulu explorer un nouveau genre cinématographique avec une comédie bien années 70. Non sans intention, Drive-Away Dolls pêche, dans son exposition des personnages, à nous faire ressentir l’empathie nécessaire pour nous mener en road-trip avec Jamie et Marian (les protagonistes).

Ainsi, et durant la première demi-heure – soit un tiers du film – les quiproquos et situations burlesques fusent sans toucher le point qu’elles cherchaient à atteindre. Mais que cherchaient-elles réellement à atteindre ? Vendu comme « une série B lesbienne », Drive-Away Dolls peut surtout se targuer de reproduire à la perfection les codes comiques américains des années 70-80, sans toutefois convaincre les nostalgiques, ni toucher les novices. Plouf !

Un projet du fond de tiroir

Pourquoi donc ce film, sans prétention aucune, manque-t-il à ce point de fond ? Remontons un peu dans le temps au début de notre millénaire. Ethan Coen et sa femme Tricia Cooke (co-scénariste et producteur du film) présente une ébauche alors appelée Drive-Away Dykes. En janvier 2007, le projet est annoncé et commence doucement à se monter. À la réalisation, on y retrouve la cinéaste Allison Anders et les noms de Salma Blair, Holly Hunter, Christina Applegate et Chloe Sevigny ressortent du lot pour les rôles principaux.

Puis… plus rien. Littéralement sorti des fonds de son tiroir, le projet se remet en marche en avril 2022 avec Ethan Coen aux manettes. Ce dernier précise que le confinement avec sa femme les a poussés à cette décision, en ayant le temps de retravailler le matériel original. Volonté d’en terminer avec un projet vieux de 20 ans ou réel envie de proposer un divertissement ? Le résultat épouse un grand manque d’originalité, mais ponctué d’idées « token » qui font toutefois plaisir de voir dans nos salles.

A (non) Straight Story

La moindre des choses à accorder à Drive-Away Dolls, c’est sa folie décomplexée qui permet de se laisser porter par un récit aux 1001 rebondissements. Et dans ce délire, les deux protagonistes Jamie (Margaret Qualley) et Marian (Géraldine Viswanathan) se complètent parfaitement pour tenir le rythme. D’un côté la première incarne un certain lâcher-prise et une indifférence totale des codes sociaux, quand la seconde retient ses ardeurs et reste dans le contrôle de soi. Leur road-trip est construit selon un crescendo classique, de l’intériorisation vers la déconstruction de la morale puritaine américaine.

Dans un autre registre, les antagonistes du long-métrage, judicieusement tenu par Colman Domingo, Bill Camp et Joey Slotnick, incarnent à leur manière des « bouffons » modernes, échouant encore et encore dans leur quête. Si l’analyse sociologique de ces personnages n’a pas davantage à apporter, leurs apparitions fonctionnent tant le burlesque leur colle à la peau. Ici, Ethan Coen s’en remet à des gags bêtes et méchants, et à des interactions farfelues qui – aussi étonnant que cela puisse paraître – amusent encore.

© Focus Features. LLC.

Drive-Away Dolls semble ainsi conçu pour plaire au plus grand nombre. Point de complexité, point de nœud au cerveau et point de long silence dans cette comédie colorée. Mais dans ce nouveau registre, Ethan Coen semble perdre ce qui faisait la singularité de son cinéma des décennies précédentes. Parenthèse dans sa filmographie ou recherche d’une nouvelle patte créative ? Les années qui viennent répondront à cette interrogation et nous permettront, éventuellement, de voir ce film d’un autre œil dans quelques temps.

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