Disclaimer de Alfonso Cuarón : Children of (Wo)men

De retour en force six ans après Roma, Alfonso Cuarón se rappelle à notre bon souvenir cette fois à la télévision et chez Apple TV avec la série Disclaimer, un OVNI artistique aussi incisif qu’étrange. Mais au-delà de la curiosité due à sa longue absence, l’essai sériel est-il transformé par Alfonso Cuarón ?

Portée par une Cate Blanchett à la fois éblouissante et détestable, Disclaimer a tous les atouts pour séduire un large public. Grâce à son écriture soignée et à son cadrage innovant, la série instaure une forme de suspense inhabituelle. Mais au-delà de ces qualités indéniables, cette adaptation du roman de Renée Knight soulève des questions méta-discursives, sur les mensonges qu’on se dit et les choses dont on se convainc.

“La journaliste Catherine Ravenscroft a bâti sa réputation en révélant les méfaits et les transgressions des autres. Lorsqu’elle reçoit un roman d’un auteur inconnu, elle est horrifiée de réaliser qu’elle est désormais le personnage principal d’une histoire qui expose ses secrets les plus sombres. Alors que Catherine s’efforce de découvrir la véritable identité de l’écrivain, elle est forcée d’affronter son passé avant qu’il ne détruise sa vie et n’affecte son mari Robert et leur fils Nicholas.”

Disclaimer
@ Apple TV

Un slow burn trompeur 

Alfonso Cuarón commence Disclaimer en nous offrant un faux sens de sécurité. En divisant son récit en deux temporalités distinctes, le réalisateur nous plonge dans une vision cauchemardesque du slow burn. Cette lente combustion amoureuse, accompagnée de scènes débordant de sensualité, de désir et de passion, murmure aussi une fin tragique et perverse. La relation entre Catherine (Cate Blanchett) et Jonathan (Louis Partridge) se construit avec la légèreté et l’insouciance des premiers instants. Mais derrière ce vernis de bonheur se cache un océan de non-dits et de mensonges.

Comme à la grande époque des voix off de Martin Scorsese, Alfonso Cuarón fait le choix de révéler la finalité de certaines intrigues, sans expliquer le “comment”. Cela a pour effet de créer un sentiment de sympathie ou d’antipathie chez le spectateur. Avant même que les personnages n’aient posé le moindre acte. Et tels des chefs d’orchestre privés de leur baguette, nous plongeons dans l’aspect malsain des relations humaines et des choses de la vie. Presque comme si nous étions complices d’actions que nous ne pouvons au fond que voir, impuissants que nous sommes.

Are you watching closely ?

Alfonso Cuarón démontre qu’il maîtrise pleinement le récit qu’il adapte, notamment à travers sa mise en scène. La vérité se situe constamment en dehors du champ ou du moment présent. Ainsi, le spectateur détourne son attention de ce qui est directement montré à l’écran. À l’image d’Ozu, qui recentrait l’attention à l’intérieur du cadre, Disclaimer nous guide, dévoilant ce qui, jusque-là, nous échappait. Tout se décentre et se déforme. Certaines scènes se concluent par des transitions douces et arrondies, renforçant cette impression de flou et de mystère.

Un jeu subtil de regards avec l’écran s’installe, renforcé par une caméra constamment instable. Ce mouvement perpétuel complexifie la psychologie des personnages, sans que jamais ce procédé ne soit artificiel. En résulte un inconfort qui se traduit par un équilibre fragile entre compréhension et malentendu. Chaque détail a son importance, certains étant là uniquement pour nous tromper. Par exemple, le chat moqueur de Catherine, omniprésent, vient régulièrement détourner l’attention pour mieux préserver les secrets enfouis. Comme une métaphore du magicien qui nous demande de regarder de près alors que la magie s’opère ailleurs.

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@ Apple TV

N’est pas Soderbergh qui veut

Mais si ces procédés de narration et de mise en scène sont bienvenus, la gestion du rythme par Alfonso Cuarón peut générer une certaine frustration. À l’image de ce pourquoi il a déjà été critiqué dans ses œuvres précédentes. En effet, Disclaimer se joue de nous à travers plusieurs flashs forward (des sauts en avant en bon français, ndlr). Mais contrairement au Steven Soderbergh de la grande époque avec ses films Ocean’s, ces choix scénaristiques tiennent plus de l’artifice que de l’utile, et les twists en deviennent moins percutants dans Disclaimer.

Bien heureusement, cette frustration liée à la structure alambiquée ne plombe pas Disclaimer au point d’en faire une déception. Le déséquilibre des flashs forward reste rare et les enjeux majeurs de la série demeurent bien identifiés et bien amenés, rappelant à notre bon souvenir pourquoi Alfonso Cuarón est un réalisateur aussi acclamé. Si seulement il pouvait se faire moins rare, pour le coup…

Disclaimer, réalisée par Alfonso Cuarón, est une série riche qui puise sa force dans ses enjeux narratifs et sa forme esthétique. Malgré un rythme parfois inégal, elle témoigne que le réalisateur mexicain n’a rien perdu de sa superbe et ne nous donne qu’une seule envie : qu’il soit plus actif !

Une série disponible sur Apple TV+.

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