Sous des allures de fable écologique consensuelle, De l’autre côté du ciel cache un récit qui n’hésite pas à prendre des chemins de traverse et déjoue aisément les attentes. Sans pour autant renoncer à être un spectacle familial haletant, il se révèle dans ses moments les plus intimistes, fier d’une poésie onirique entre Chagall et Saint-Exupéry.
Jeune ramoneur solitaire de Chimney-Town, ville industrielle privée de ciel par l’épaisse fumée qui s’échappe de ses usines, le petit Lubicchi rêve des étoiles dont lui parlait son père. Le soir d’Halloween, il rencontre une étrange créature faite de débris et de détritus. Les aventures qu’ils vont vivre dans De l’autre côté du ciel, pourraient bien les amener plus loin qu’ils ne l’escomptaient.
Poupelle à coeur ouvert
Premier long-métrage de Yusuke Hirota, qui oeuvrait déjà au sein du Studio 4°C en tant qu’animateur, De l’autre côté du ciel annonce dès son synopsis un spectacle familial qu’on pourrait craindre programmatique : avec son duo contre-nature de personnages qui apprendront à s’apprivoiser et son décorum industriel qui promet un conte écologique manichéen, et malgré sa beauté plastique jamais démentie, on pourrait bien avoir déjà tout vu.
Les premières minutes du film confirmeront ces craintes : parce que le film sacrifie aux codes désormais installés de l’animation japonaise, qui impose des montages « chanson » à intervalles réguliers, et parce que son premier morceau de bravoure, une course-poursuite burlesque dans une usine de traitement des déchets, bien qu’habilement chorégraphiée, est faite de cette virtuosité vaine héritée du slapstick tendance L’âge de glace, où tout doit être à bout de souffle, et larger than life.
Heureusement, elles seront rapidement démenties, et la structure scénaristique à tiroir se déploie habilement et dans des directions parfois imprévues. Malgré leur nombre, le récit jongle entre ses thématiques et ses arcs sans jamais frôler la surcharge. Sans trop en dire, la pollution n’est pas le seul sujet du film, ni même le principal.
Le plaisir de conter
En plus d’être un premier long-métrage, le film de Hirota est aussi l’adaptation du livre illustré Poupelle et la ville sans ciel, qui avait eu droit, en 2018, aux honneurs d’une exposition à la Tour-Eiffel. Son auteur, Akihiro Nishino – qui officie ici comme scénariste – est un artiste aux multiples facettes, qui a débuté comme comique au sein du manzai King Kong. On retrouve le phrasé et le timing typiques du genre dans les passes d’armes que s’échangent les deux héros lors de leur rencontre.
La patte graphique de sa bande-dessinée, fidèlement retranscrite à l’écran, évoque les teintes chaleureuses des nuits tokyoïtes du Tokyo Godfathers de Satoshi Kon, en même temps que le steampunk rétrofuturiste de Metropolis (Rintaro, 2001). L’opposition entre ces bas-fonds qui brillent de mille feux et ce ciel d’encre n’en est que plus saisissante. Il y a quelque part la même énergie – souterraine – que dans Ernest et Célestine, ce monde « d’en bas » où l’on se débrouille et où l’on s’entraide.
Parce qu’invisible, le ciel n’officie pas ici tout à fait comme un appel à l’aventure ; brouillard plutôt qu’horizon, on en vient à douter de son existence-même, et les étoiles en sont réduites à n’être plus que des légendes urbaines, des histoires qu’on se raconte au de coin du feu. Témoin le père du héros, artiste de kamishibai, grâce à qui les rues débordent de rumeurs et d’histoire fantaisistes, qui se transmettent à l’ombre de l’historiographie officielle. Derrière une fable écologique qu’on pourra trouver convenue, De l’autre côté du ciel fait l’éloge du plaisir de conter, de décider par soi-même de ce qui se trouve de l’autre côté du ciel.
De l’autre côté du ciel est disponible en Blu-Ray et DVD chez Arte Editions, à partir du 17 décembre 2022.