Si les films sur la Résistance ne sont pas rares, le cinéma français n’avait pas osé, jusqu’à aujourd’hui, se frotter à la biographie du Général De Gaulle.
Figure imposante, héroïque, mais aussi contrastée, le récit de la vie de De Gaulle serait une gageure pour tout réalisateur. Avec son long-métrage éponyme, Gabriel Le Bomin ne s’attaque pas frontalement à sa vie publique et militaire de plus de 60 années, mais à sa vie privée et intime, avec pour point d’orgue, son appel radiophonique du 18 juin.
Le film s’ouvre sur le village de Colombey les Deux Eglises, pour un dimanche à la campagne chez le colonel Charles De Gaulle (Lambert Wilson). En 1940, ce jeune officier aux stratégies militaires avant-gardistes, est quelque peu marginalisé par sa hiérarchie. Il se ressource en famille, avec sa femme Yvonne (Isabelle Carré) et leurs enfants, dont la jeune Anne (Clémence, 11 ans), atteinte de trisomie 21. L’angle de cette biographie sera le récit familial, avant le récit militaire.
Un biopic minutieux
Après l’Abbé Pierre, le commandant Cousteau, La Fayette… Lambert Wilson enfile à nouveaux les habits d’une grande figure du patrimoine français. Jouer un héros de biopic est un exercice complexe, quand il s’agit d’incarner, et non pas d’imiter le protagoniste principal dont on connait de nombreuses facettes médiatiques, du « Paris libéré » au « Je vous ai compris »
La reconstitution du réalisateur Gabriel Le Bomin, spécialiste des récits militaires et historiques, est soignée et même tatillonne, tout entière tendue pour crédibiliser son acteur. En témoigne les costumes délibérément trop grands de Wilson/De Gaulle, détail allégorique et sous-tendant le message du film : celui d’un homme trop grand dans une France qui rétrécit chaque jour sous l’invasion allemande.
Un portrait de De Gaulle convaincant…
Ce colonel De Gaulle est maladroit, emprunté comme un grand oiseau sans horizon, comme un albatros cloué au sol. Il y a du Don Quichotte dans sa quête, partant à l’aventure londonienne, galvanisé par un idéalisme tout chevaleresque. Il y a aussi une amusante allure d’OSS 117, lui seul persuadé de la grandeur d’une France ridiculisée ; une France qu’il vante avec orgueil alors qu’elle est à genoux ; une France qu’il voit toujours gagnante, alors que la collaboration s’engage.
La folle obstination de De Gaulle est illustrée dans toute sa déraison, sa foi qui déplace les montagnes. Le perfectionniste Lambert Wilson compose un portrait pointilleux et convaincant de l’homme De Gaulle, celui qu’il fut avant d’être général. Un homme qui doute de son destin, de sa force, qui ne sait ni placer son corps dans la pièce, ni sa voix dans le micro.
Le Bomin développe ainsi un double enjeu scénaristique : Premièrement, que va-t-il advenir de la famille De Gaulle ? Cette intrigue est éventée par tous les livres d’Histoire, et offre malheureusement assez peu de suspense. Elle est réalisée sans grand sens du romanesque et n’évite pas les clichés maladroits (la main dans les champs de blé à la Gladiator…). Elle ne fait pas non plus montre d’une grande alchimie entre Yvonne et Charles, qui rejouent un long, très long dimanche de fiançailles.
… qui n’est pas sublimé par la mise en scène
Deuxième enjeu : Comment De Gaulle va-t-il évoluer psychologiquement pour passer de l’homme qui doute à « celui qui a dit non ? ». Cette partie du scénario est de loin la plus intéressante, car elle se focalise sur la relation avec Anne de Gaulle. Dans ses mémoires, le Général disait qu’il n’aurait jamais pu être l’homme de Londres sans sa jeune fille handicapée, dont la force vitale l’inspirait chaque jour. La jeune Clémence qui joue Anne, est pour beaucoup dans la réussite de ce segment du métrage. Ces scènes père-fille sont probablement les plus touchantes du film, et permettent de comprendre la trajectoire personnelle de l’homme du 18 juin.
Le film a ainsi ses bons moments, comme l’affrontement tendu avec Pétain, les passes d’armes verbales avec Churchill, ou encore ces scènes de français à la dérive, fuyant sur les routes l’invasion allemande. Mais la mise en scène de Gabriel Le Bomin n’a pas le lyrisme nécessaire à la fresque de l’exode de 1940. Elle escamote finalement le grand récit national, réduit à la seule famille De Gaulle, récit qui ne retrouvera qu’un peu de couleur qu’au moment de l’appel radio de la BBC – au prix de copieux emprunts cinématographiques au Discours d’un roi de Tom Hooper. Une réalisation aussi impersonnelle aurait suffi pour François Hollande ; pas pour Charles De Gaulle.
N’échappant ainsi pas au piège de l’hagiographie, Gabriel Le Bomin se garde bien d’écorner l’image du grand Charles, ou même de porter sur lui un point de vue personnel. Trop respectueux du monument, il n’évite pas, comme Les Heures Sombres de Joe Wright avant lui, le syndrome du « musée Grévin ». Tourner un film de cinéma, cela consiste à sublimer la légende. Cela consiste aussi à la trahir.