Dans la cuisine des Nguyen de Stéphane Ly-Cuong : Cuisine et indépendance

Stéphane Ly-Cuong dans la cuisine des nguyen

Retour en force ou effet passager ? Ces derniers mois, les propositions de comédie musicale ont afflué au cinéma. Et ce n’est pas pour me déplaire. Le premier long-métrage de Stéphane Ly-Cuong s’empare du genre avec une arène et des thématiques inédites. Au menu de cette comédie musicale tendre et légère : la quête d’un rêve, un amour conflictuel, et des nems. Beaucoup de nems.

Passionné par les questions liées à la diaspora vietnamienne, Stéphane Ly-Cuong inscrit ses projets de théâtre et de cinéma dans cette voie. Scénariste aguerri, il a co-écrit le film Hiver à Sokcho mais également fait des apparitions dans Emilia Perez et Hippocrate. Un parcours dense, entre écriture et jeu, qui se ressent avec Dans la cuisine des Nguyen  qui marque son passage au long format. Est-ce suffisant pour vous mettre en appétit ? Patience, nous n’avons attaqué que l’entrée.

« Yvonne Nguyen (Clotilde Chevalier), jeune femme d’origine vietnamienne, rêve d’une carrière dans la comédie musicale au grand dam de sa mère qui préférerait la voir reprendre son restaurant en banlieue. L’intimité de la cuisine, entre plats familiaux et recettes traditionnelles, leur permettra-t-elle enfin de communiquer, se comprendre et s’accepter ? »

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Another Day of Sun

Adapté du personnage d’Yvonne dans le spectacle Cabaret jaune citron, où l’actrice principale campait déjà cette travailleuse acharnée agrippée à son rêve comme à une bouée, le premier long-métrage de Stéphane Ly-Cuong s’ouvre sur un numéro éclatant, pop et dynamique, foisonnant de clins d’œil aux grands classiques de la comédie musicale hollywoodienne. Le ton est donné, et même si cette fougue ne parsème pas le film de manière équilibrée, on est plongé dans cette quête semée d’embûches, où la passion se heurte à des cases toutes faites.

Yvonne Nguyen, incarnée par une Clotilde Chevalier royale, court après son rêve de gloire et de reconnaissance dans le milieu impitoyable du théâtre parisien. Malgré son talent et sa détermination, son profil considéré comme atypique la cantonne à des rôles anecdotiques, pour ne pas dire dénigrants – mafieux, prostituées ou serveuses de restaurants. Un cadre restrictif que le film aborde avec légèreté mais sérieux, en montrant le numéro d’équilibriste auquel sont confrontés les concernés, entre éthique et survie.

Hanoï Kitchen

Lorsque l’opportunité d’un casting pour un spectacle qui peut la propulser sous le feu des projecteurs se présente, notre héroïne n’hésite pas. Le film assume dès lors une dimension meta intéressante. Clotilde Chevalier, qui avait quitté le milieu pour devenir cheffe de cuisine dans un restaurant du sud-ouest de la France, est elle-aussi revenue passer l’audition du film pour décrocher son rôle. Un retour aux origines qui coïncide avec le parcours de son personnage qui décide de voguer vers la banlieue parisienne, pour retrouver les effluves douces mais piquantes d’une matriarche exigeante.

Le restaurant devient alors le cœur battant du film, un cocon où se jouent autant les non-dits que les éclats d’amour. Cette cuisine exiguë, théâtre d’engueulades et de réconciliations, transforme la relation mère-fille en un ballet intime, oscillant entre tendresse et aigreur. La mise en scène de Stéphane Ly-Cuong se met dès lors au diapason, adoptant une approche naturaliste froide et proche des corps, rompant avec la dimension chatoyante et chaude des moments chantés.

L’équilibre n’est pas tout le temps juste, le film peinant à insuffler le sentiment d’urgence propre à la quête d’Yvonne alors qu’elle est à un tournant de sa vie ; un moment où les regards des autres et les injonctions deviennent de plus en plus lourds sur sa condition de femme. L’aspect « sitcom » prend donc le pas sur l’aspect comédie musicale, qui a également du mal à conserver l’aspect flamboyant de ses débuts, entraînant une baisse de régime qui se ressent dans la mise en image du métrage.

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La communauté de la nouille

Ces petites escarmouches n’entachent pas le plaisir que l’on prend à suivre les pérégrinations d’Yvonne qui bénéficie d’un support system de qualité. Son meilleur ami Coco et son confident Georges sont toujours là pour la réconforter tandis que sa némésis incarné par Leanna Chea nous offre des moments de franche rigolade, tout en étant nuancée dans sa caractérisation.

Stéphane Ly-Cuong veille donc à ce que chaque personnage, même secondaire, trouve une place dans son récit. Il ne fuit jamais les stéréotypes, il les embrasse et les détourne. Entre les castings bourrés de préjugés, les metteurs en scène fantasques (Thomas Jolly est génial) et l’exotisme permanent, le film manie l’autodérision avec brio. Tout comme ses personnages, il refuse de choisir entre tradition et modernité, préférant jouer sur les contrastes avec une drôlerie communicative.

Taratatouille

Au cœur des thèmes du film, se joue la question des identités, celles qu’on s’attribue et celles qu’on nous appose. Au cœur du film se joue donc la quête de soi d’une femme d’origine vietnamienne écartelée entre deux mondes qui, sous couvert de bienveillance, peuvent faire preuve de cruauté. Yvonne est jaune dehors mais blanche dedans. Et comme le dit sa mère, incarnée par une grande Anh Tran Nghia : « Une vietnamienne qui n’est jamais allé au Vietnam c’est comme un éléphant qui fait des nems, c’est du jamais vu ».

Tout Dans la cuisine des Nguyen évoque le rapport à la guerre, l’immigration et à l’intégration, à la honte d’être différent et d’avoir des parents différents, menant à des incompréhensions intergénérationnelle que seul le patrimoine et la culture pourraient combler. Il n’est donc pas anodin que l’arène choisie soit la cuisine, lieu d’intimité et de transmission par excellence, avec en filigrane la question de la barrière de la langue. La musicalité du film s’empreint de la chanson française en la mêlant à des sonorités contemporaines et asiatiques, avec douceur et humour.

Cette approche douce mais émouvante est la marque de fabrique du film, le réalisateur jouant constamment avec cette oscillation entre rêve et désillusion, que ce soit dans la réalité ou dans les moments musicaux. Une référence à la rencontre entre Maria et Tony dans le West Side Story original marque d’ailleurs l’épiphanie de ce procédé, offrant une séquence bouleversante durant un spectacle menée par une cantatrice vietnamienne.

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Avec humour et tendresse, Dans la cuisine des Nguyen explore la thématique de la double culture ainsi que la quête identitaire des enfants d’immigrés, souvent pris entre deux héritages difficiles à concilier. Un joli moment de comédie parsemés de numéros musicaux qui n’échappe pas à un léger essoufflement en fin de parcours.

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