Cronos de Guillermo del Toro : Le vieil homme et la mort

Cronos del toro

Plus de 30 ans après sa sortie, le tout premier film de Guillermo del Toro arrive enfin sur grand écran dans une splendide restauration 4K.

Lauréat du Grand Prix de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes en 1993, c’est une occasion unique de (re)découvrir cette œuvre fondatrice, où l’obsession de l’immortalité se heurte à la tendresse du lien familial.

« Jesús Gris, un antiquaire mexicain, découvre un mystérieux artefact en forme de scarabée doré caché dans une statue. Ce dispositif, conçu par un alchimiste du XVIᵉ siècle, renferme un mécanisme complexe abritant une créature insectoïde qui, en s’activant, injecte une essence conférant la jeunesse éternelle. »

Cronos
© Les Films du Camelia

Mordre ou ne pas mordre, telle est la question

Après Nosferatu, les vampires sont plus que jamais au cœur de l’actualité. Cronos s’intègre parfaitement à cette tendance, en offrant une approche singulière du mythe vampirique. Ici pas de crocs. L’horreur se niche davantage dans la douleur du vieillissement que dans la soif de sang.

Le film repose beaucoup sur la performance de Federico Luppi, qui incarne un Jesús Gris tout en nuances. Loin du vampire flamboyant, il incarne un homme ordinaire, à la bienveillance presque enfantine, que le destin va broyer. Le lien qu’il entretient avec sa petite-fille Aurora (Tamara Shanath) confère au film une douceur rare dans le cinéma d’horreur, un contrepoint lumineux à la noirceur du récit. La fillette ne parle pas, mais ses silences sont lourds de sens, témoignant d’une relation fondée sur l’amour et la compréhension instinctive. Témoin silencieux de la transformation de son grand-père, elle ne le craint jamais et l’accompagne dans cette métamorphose, acceptant sa nouvelle nature sans jugement.

La transformation de Jesús attire l’attention de Dieter de la Guardia (Claudio Brook), milliardaire malade qui convoite le secret du Cronos pour prolonger sa propre existence. Ce personnage, tout en décrépitude et en autorité délirante, incarne une vision du pouvoir gangrénée par la peur de la mort. Son neveu Angel (Ron Perlman), un colosse brutal et cynique, subit une autre forme de dégradation : celle de l’humiliation et de la soumission. Sa violence n’est qu’une expression maladroite d’un profond dégoût de lui-même, nourri par le mépris de son oncle.

Cronos
© Les Films du Camelia

Vampire en toute intimité

Contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’un film de vampires, Cronos évite les grands effets horrifiques. Le film baigne dans une lumière souvent chaude, dorée, qui contraste avec l’idée traditionnelle de l’horreur gothique. Guillermo del Toro privilégie les plans rapprochés et les mouvements lents, capturant avec tendresse l’intimité de Jesús avec sa petite-fille, mais aussi son rapport de fascination et de répulsion avec son propre corps en mutation.

Ici l’horreur est avant tout psychologique et corporelle. La caméra insiste sur les détails organiques, la texture du métal et de la peau. On sent l’amour de Guillermo del Toro pour les objets, leur histoire et leur pouvoir narratif. Exemple avec la mécanique steampunk du Cronos qui annonce déjà l’univers des futurs films du cinéaste mexicain (Hellboy, Le Labyrinthe de Pan). Chaque plan transpire la minutie d’un réalisateur passionné par l’artisanat du cinéma, qui ne cherche pas à effrayer par des jump scares mais plutôt hanter par la poésie du macabre.

Amor à mort

Cronos n’est pas qu’une histoire de corruption physique ou morale : c’est aussi une réflexion sur la monstruosité, et sur ce qu’elle révèle de notre humanité. En devenant une créature nocturne aux reflets vampiriques, Jesús n’abandonne pas son âme. Au contraire, c’est à travers son état monstrueux qu’il révèle sa véritable essence : un homme capable d’aimer au-delà de la peur, prêt à refuser l’immortalité pour ne pas devenir autre chose qu’un grand-père aimant.

Guillermo Del Toro renverse ici le mythe du vampire. Au lieu d’une damnation qui le prive de son humanité, son héros l’embrasse pleinement. Dans la dernière scène, Jesús, le visage défiguré mais le regard apaisé, trouve enfin son repos dans les bras d’Aurora. Ce n’est pas une fin tragique, mais une réconciliation. Un adieu nécessaire pour que la fillette puisse comprendre que ce qui fait la valeur d’une existence n’est pas sa durée, mais l’amour qu’on y sème.

Avec Cronos, Guillermo del Toro livrait en 1993 une œuvre déjà empreinte de son ADN : un conte horrifique traversé par la tendresse, où le fantastique ne sert jamais à fuir le réel mais à le magnifier.

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