Control d’Anton Corbijn : Back to black and white

Control Anton Corbijn

Dans la courte liste des biopics réussis, il y a Control d‘Anton Corbijn…

Réalisateur renommé pour ses portraits d’artistes et ses vidéoclips (Joy Division, Depeche Mode, U2), le Néerlandais Anton Corbijn débute comme photographe en 1977 pour Oor puis le New Musical Express à Londres. En 2007, il signe son premier long-métrage, Control, présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, récompensé par la Mention Spéciale de la Caméra d’Or et le BIFA du meilleur film.

 « La vie de Ian Curtis (Sam Riley), leader du groupe mythique de rock anglais Joy Division. Tiraillé entre sa vie de famille, sa gloire naissante et son amour pour une autre femme, Ian Curtis s’est suicidé le 18 mai 1980, à la veille de la première tournée américaine du groupe qui s’annonçait triomphale. Ian Curtis a changé le rock, sans le vouloir, sans le savoir. » 

Dirty Dancing

Le titre Control renvoie à la chanson « She’s Lost Control », inspirée d’une crise d’épilepsie qu’Ian avait observée. Ce choix symbolique incarne la tension centrale du film : un homme tentant désespérément de garder la maîtrise de sa vie, de son corps et de ses émotions, tandis que tout lui échappe.

Dès la première scène, le ton est donné : loin des clichés rock’n’roll, le biopic plonge dans la chute intérieure d’Ian Curtis. En gros plan, assis dans sa chambre, il déclare : « L’existence, quelle importance ça a ? […] Le passé fait partie de mon futur, et le présent me glisse entre les doigts, échappe à tout contrôle… » Le tragique s’impose d’emblée. Les chansons s’intègrent alors organiquement au récit, non pour illustrer les faits, mais pour commenter l’âme du personnage.

Last Days

Avec Control, Anton Corbijn plonge dans l’existence tourmentée de Ian Curtis, chanteur de Joy Division, disparu en 1980 à 23 ans. Inspiré de la biographie de sa veuve, Deborah, le film dépasse le biopic musical pour révéler les contradictions d’un jeune homme pris entre succès fulgurant, pression créative, épilepsie et désarroi affectif. Sobre et bouleversant, Control se présente comme une tragédie humaine.

Fort de son expérience en photographie et clips, Corbijn fait de l’image son langage. Le noir et blanc granuleux donne au récit une mélancolie intemporelle, reflet de l’état d’esprit de Curtis. Gros plans et plans fixes accentuent l’enfermement du personnage, écrasé par l’espace. Jeux de contre-jours, contrastes entre lumières et ombres, traduisent la lutte entre succès et solitude, vie et mort. La grisaille ouvrière de l’Angleterre des années 70 achève de composer un univers froid et étouffant.

The Sound of silence

La réalisation évite les artifices. Les scènes musicales sont filmées avec une énergie brute, sans glorification. Les moments de tension personnelle, eux, sont traités avec une pudeur remarquable : Corbijn laisse place aux silences, aux regards, aux gestes simples. Cette retenue crée une proximité avec le personnage, et renforce l’authenticité de son mal-être. On n’assiste pas à la naissance d’une légende, mais à l’effritement d’un être humain.

Seuls les moments où Curtis chante avec son groupe semblent lui redonner vie : la caméra s’anime alors, ces rares moments dévoilant le chaos intérieur du chanteur.

The Life of Riley

Pour son premier rôle, Sam Riley incarne avec justesse le mal-être de Ian Curtis. Chanteur lui-même, il s’immerge dans la gestuelle, les silences et les transes scéniques du musicien sans jamais l’imiter. Sa fameuse “epilepsy dance” devient un geste sacré, où le corps dit ce que les mots taisent. Il révèle un homme opaque, dépassé par ses émotions et trahi par son propre corps, qui n’existe vraiment que sur scène ou en écrivant.

Control n’est pas un simple hommage ni une reconstitution. C’est une méditation sur l’héritage artistique et sur ce qu’il reste d’une vie interrompue trop tôt. Corbijn montre un homme avec ses failles, incapable de concilier aspirations et réalité. Ses relations avec Deborah ou son groupe sont marquées par l’incommunicabilité, générant tristesse et frustration. La fin, attendue, bouleverse pourtant. Et la musique demeure, créant un pont entre générations, de Joy Division à Shadowplay repris par The Killers.

Loin des clichés du rock, Anton Corbijn signe avec Control une œuvre qui dépasse largement le biopic. Il offre un regard sensible, humain et esthétiquement sublime sur la création, la solitude, et sur la difficulté d’être soi quand le monde vous observe. Esthétiquement sublime, interprété avec finesse, il bouleverse par sa sincérité et sa retenue.  

Laisser un commentaire