Présenté au mois de juin 2022 au Champs-Élysées Film Festival, le dernier film de Bertrand Bonello déroute. Coma oscille entre les genres, mêle les techniques de cinéma et se vit comme un rêve.
Quasi autoproduit selon les termes de son réalisateur, Coma lui a permis une grande liberté d’action et un terrain d’expérimentation particulièrement fécond. Il en résulte une proposition de cinéma malheureusement abstraite et verbeuse, qui en rebutera plus d’un.
Dédié à la fille du réalisateur, Coma s’adresse pourtant à toute une jeunesse en manque de repère et particulièrement angoissée par le futur qui s’annonce. C’est l’histoire d’une jeune femme enfermée chez elle à cause du confinement. Elle est seule et s’enferme de plus en plus dans ses pensées. La frontière entre réalité et rêve s’affine à mesure qu’elle regarde les vidéos d’une influenceuse particulièrement étrange nommée Patricia Coma.
Dodo l’enfant do
La youtubeuse/gourou interprétée par l’éblouissante Julia Faure (que l’on a déjà pu apercevoir dans Camille Redouble) livre ici une prestation particulièrement envoutante. Louise Labeque, l’interprète principale, déjà vue chez Bonello, n’est pas en reste puisqu’elle parvient à donner corps à un personnage qui n’est quasiment jamais en mouvement. Plus qu’un film sur le Covid, Coma est une œuvre mentale. Pour cela, il multiplie les techniques de cinéma. Prises de vue réelles, animation 2D, stop-motion, et nous embarque dans un véritable voyage de cinéma. Cette variété et cette liberté sont la véritable réussite du film. L’œuvre est protéiforme et toujours là où on ne l’attend pas.
Ce n’est pas la première fois que Bertrand Bonello évoque les émois adolescents. C’était déjà le cas dans Zombi Child (2019) ou bien Nocturama (2016). Dans Coma, le personnage principal ne semble voir le monde que par le prisme de cette youtubeuse, sorte de maître à penser. Malheureusement, les ados du film ne sont caractérisés que par leur attention au regard des autres et par l’influence des écrans sur leur vie, ce qui est tout de même réducteur. C’est d’autant plus dommage quand on sent que Bonello porte un regard particulièrement sain et original sur la jeunesse, loin des clichés – puisqu’il répond à sa fille dont les questionnements sont ceux de beaucoup de jeunes.
La science des rêves
Coma commence par une longue séquence introductive pensée comme une lettre du réalisateur à sa fille. Touchant certes ; mais ce dispositif rend la suite du film trop programmatique, et ce qui devait passer pour un beau geste de cinéma ne reste qu’un beau geste de père. Le film, trop théorique pour son propre bien, finit par devenir trop explicatif : d’une part, cette longue introduction dévoile tout le postulat du film, qui perd ainsi de sa saveur ; d’autre part, elle constitue une séquence trop méta pour l’immersion du spectateur dans le film.
Bonello remet sans cesse ce dernier à sa place passive de visionneur d’écran, troublant un voyage qui se prétendait pourtant psychique. Renvoyé au fond de son siège, le spectateur commence doucement à… comater. Trop bavard, tel pourrait être résumé le mal qui frappe Coma. Son scénario questionne le rapport à l’extérieur mais aussi au spectateur de cinéma – Patricia Coma nous parle autant qu’elle parle à cette jeune fille. Malheureusement, il se perd aussi dans des dialogues alambiqués qui surlignent inutilement l’image sans y ajouter du sens.
Une comédie mentale
Pourtant, lorsque Bertrand Bonello fait confiance à sa réalisation et décide de laisser la place au silence, il multiplie les séquences de cauchemars aussi oppressantes que convaincantes. Se déroulant dans une forêt filmée en nuit américaine, comme coincée entre la nuit et le jour, elles parviennent à donner une ambiance crépusculaire au film, et enfin, du corps à son propos.
Plus légèrement, Coma propose aussi de véritables moments de comédies permis par ses seconds rôles. Louis Garrel, Laetitia Casta, Vincent Lacoste, Anais Demoustier ou encore le regretté Gaspard Ulliel incarnent chacun une poupée Barbie animée par l’imagination du personnage principal, qui les voit parler et agir comme des comédiens de Soap Opera. Un choix intéressant, mettant encore une fois en exergue l’importance des figures populaires telles que les acteurs de cinéma dans la construction de l’imaginaire des jeunes. Cette construction protéïforme et en miroir – entre des célébrités adultes en plastique et des enfants anonymes en live action – participe à faire du film une œuvre mentale à tous les niveaux.
Au Champs-Élysées Film Festival, Bertrand Bonello a expliqué vouloir montrer que « Seuls face à soi-même, on n’est pas pervertis par le regard des autres ». En ce sens, Coma pose un regard sur les influences extérieures des jeunes et sur l’importance de leur identité, à une époque où ils sont plus que jamais face à leur propre image instagrammée. Si le film débute comme un voyage excitant dans la psyché d’une jeune femme en pleine crise existentielle, sa pesanteur théorique laissera le plus grand nombre d’entre nous au bord du chemin. Reste une œuvre personnelle et sincère, utilisée par son réalisateur pour panser les plaies de sa fille.