Une année seulement après son très personnel Journal d’Amérique, le réalisateur français Arnaud des Pallières se plonge dans l’enfer des asiles de femmes dans le Paris de la fin du XIXe siècle. Si le fond ne révolutionne pas le sujet, la forme a le mérite de bénéficier d’un casting cinq étoiles autour de ce que le cinéma français peut proposer de mieux.
Mélanie Thierry, Josiane Balasko, Yolande Moreau, Marina Foïs et tant d’autres… Si l’évocation de ces comédiennes de talent ne vous convainc pas de vous déplacer en salles, Captives a d’autres atouts dans sa manche. Malgré la dureté de son récit, qui emboite le pas à la douceur et à l’humanité des interactions entre nos protagonistes, c’est ce contraste qui fait du nouveau film d’Arnaud des Pallières une sortie immanquable de ce mois de janvier au vent glacial.
« Paris, 1894. Qui est Fanni, qui prétend s’être laissé enfermer volontairement à l’Hôpital de la Salpêtrière ? Cherchant sa mère parmi la multitude des femmes convaincues de « folie », Fanni découvre une réalité de l’asile toute autre que ce qu’elle imaginait, ainsi que l’amitié inattendue de compagnes d’infortune. Le dernier grand bal de la Salpêtrière se prépare. Politiques, artistes, mondains s’y presseront. Dernier espoir d’échapper au piège qui se referme… »
Le bal des folles
Du réfectoire à la salle de musique, des dortoirs aux jardins de l’hôpital, le cadre est posé. Dans les couloirs et allées déambulent, dans des démarchent bien singulières, des femmes de tout âge. Dans ce décor de la Pitié-Salpêtrière du XIXe siècle, au service psychiatrique, les performances s’enchaînent. Mélanie Thierry se rue, le visage terrifié vers de hauts grillages. Josiane Balasko, mine sévère, lit un registre assise à son bureau. Marina Foïs, les yeux mauvais, tire une internée vers une punition irrévocable. Yolande Moreau, ailleurs, voit ses jours passés au rythme des cris et des joies.
S’entourant de comédiennes parmi les plus emblématiques de leurs générations, Arnaud des Pallières saisit des instants de jeux d’une grande intensité. Et cela, il le comprend. Face à ses actrices, le réalisateur s’efface et laisse les interprétations prendre le pas sur les fioritures de la réalisation. Point de grande envolée de caméra ou de plan-séquence gadget quand ses comédiennes suffisent à capter une salle.
Construit comme un decrescendo vers l’enfer, le film garde en ligne de mire un événement tout du long, rêve pour les internées et climax pour le spectateur : le bal. Et c’est justement sur ce moment précis que le réalisateur et ses scénaristes prennent à revers les attendus. En effet, si les enjeux du film s’enfoncent dans les abymes de l’horreur humaine et du manque de considération pour ces femmes internées, ces dernières empruntent le chemin inverse et trouvent, dans l’entraide, une forme d’émancipation et de renversement de l’autorité.
Le langage des corps
Dans son processus narratif, Arnaud des Pallières prend le parti de limiter les interactions et les dialogues au minimum attendu. En effet, tout du long des 1h50 du film, chaque prise de parole vient tourner la page vers un nouveau chapitre pour nous mener vers la suite de l’histoire. Mais comment étoffer ces chapitres ?
C’est ici que l’art cinématographique tire sa différence des autres arts : l’évocation de l’image et de ses actrices. Mélanie Thierry et Marina Foïs, dans leurs œuvres, prennent à bas le corps l’intensité émotionnelle qui jaillit de leurs personnages. En effet, les deux comédiennes jouent un duel de regards plus évocateurs les uns que les autres. Quand la première fait vivre la terreur et l’angoisse, la seconde observe, comme un prédateur qui attend sa proie. La puissance et l’importance que le réalisateur donne aux yeux et à leurs dialogues marque une compréhension totale des relations entre protagonistes et antagonistes.
Toutefois, ce procédé tend à lasser par son utilisation répétée. S’il est habilement mené, le spectateur peut rapidement décrocher du fil de l’histoire, constatant le manque de pirouettes narratives. Chaque séquence s’ouvre de la même manière, et se conduit en autopilote vers une conclusion prévisible.
Ne vous attendez pas à être surpris devant Captives. Le récit joue la carte de la simplicité pour mettre l’emphase sur ce qu’il réussit de mieux : ses personnages. Loin d’une fresque historique sur le XIXe siècle, le film garde le cap de raconter des portraits de femmes détruites par la société dans laquelle elles évoluent, et comment elles se reconstruisent par l’entraide et disons-le… l’amitié.