Dans les années 40, le Département fédéral des stupéfiants décide de cibler la chanteuse Billie Holiday suite au scandale que fait sa chanson Strange Fruit, évoquant le lynchage des afro-américains.
En vogue ces dernières années, le biopic musical est un véritable tremplin pour la saison des récompenses. Après Bohemian Rhapsody (Oscar du meilleur acteur pour Rami Malek) et Rocketman (Golden Globe du meilleur acteur pour Taron Egerton), Hollywood s’intéresse à une artiste qui n’a pas eu la reconnaissance qu’elle mérite outre-Atlantique. L’occasion parfaite pour les européens de découvrir Billie Holiday, une affaire d’Etat pour en savoir plus sur cette figure emblématique du jazz qu’était Billie Holiday. Mais cette fiction est-elle vraiment le meilleur moyen pour apprendre à la connaitre ?
« J’ai une histoire, j’ai un background »
Qui de mieux que Lee Daniels pour développer un projet autour de Billie Holiday ? À travers sa filmographie, le réalisateur démontre une véritable volonté de mettre en lumière la vie des afro-américains à différentes époques, comme dans Shadowboxer (une histoire d’amour et d’action interraciale), Precious (le parcours d’une adolescente noire, obèse et analphabète) ou bien encore Le Majordome (majordome de huit présidents à la Maison-Blanche). Si certains biopic ont l’avantage (ou la tâche) d’avoir l’artiste quelque part derrière le projet (comme Elton John pour Rocketman), Billie Holiday, une affaire d’Etat est basé sur les écrits de l’écrivain et journaliste britannique Johann Hari. Le réalisateur laisse donc libre court à son imagination pour agencer tel qu’il l’entend la vie de Lady Day sans être influencé. C’est sans doute cet agencement qui empêche le film d’exister et d’être réussi.
Strange Fruit
Le film débute par un entretien entre Billy et une journaliste, avant un flashback nous plongeant dix années en arrière. On comprend très rapidement que l’enjeu du film sera de saisir l’histoire derrière Strange Fruit, la chanson adaptée d’un poème qui dénonce ouvertement le lynchage des noirs, particulièrement violent dans le sud des Etats-Unis. À l’époque, le FBI et le Département fédéral des stupéfiants dirigé par Harry J. Anslinger profita des nombreuses faiblesses de Billy, comme la drogue, pour la faire taire, l’envoyer en prison et l’empêcher de chanter cette chanson jugée « dangereuse ». Même si on comprend l’importance de cette chanson dans le contexte raciste et profondément inégal de l’époque, le film reste profondément décousu, d’une durée presque inadaptée, insupportable et interminable.
Tout seul on va plus vite, ensemble on va pas plus loin
Lee Daniels parvient à saisir la solitude de Billie Holiday malgré son entourage et son équipe qui l’accompagnent partout. Même si la place accordée à sa carrière est importante, c’est surtout la vie privée et son histoire personnelle qui fait office de fil rouge tout au long du film. Pour comprendre ses agissements, il aurait été judicieux d’offrir plus de place au contexte historique et racial de l’époque pour mieux incorporer sa présence dans le monde dans lequel elle vivait. Au final, le film passe d’un point A à un B sans transition et surtout avec beaucoup de facilité.
Son passé (violée à 10 ans, forcée à se prostituer par sa mère) explique sa situation d’addiction à la drogue et aux relations toxiques mais reste peu développé malgré cette scène magnifique qui confronte Billie à un lynchage, laissant orphelins des enfants hurlant la pendaison de leur père. Vous l’aurez compris, Billie Holiday, une affaire d’Etat n’est pas un biopic réussi, et c’est Andra Day qui porte le film à bout de bras – gangrenés par les aiguilles – interprétant avec beaucoup de justesse les plus grandes chansons de Lady Day. Cette interprétation remarquable lui permettra d’ailleurs d’obtenir le Golden Globe de la meilleure actrice dans un film dramatique.
Billie Holiday, une affaire d’Etat pourrait se résumer à Andra Day. Sa performance porte le film, mais comme le personnage qu’elle incarne, elle est freinée par l’écriture et le montage laborieux. Privilégiez le documentaire de James Irskine intitulé Billie, sorti fin 2020 en France et fondé sur des archives et un travail de recherche minutieux.
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