Après l’envoûtant Eat The Night, Caroline Poggi et Jonathan Vinel livrent une nouvelle facette de leur univers hybride, atmosphérique et ténébreux dans ce moyen métrage d’art contemporain où se réunissent marginaux et désespérés pour une nuit à l’abri du monde.
Après deux long métrages et six court métrages dont le très remarqué Tant qu’il nous reste des fusils à pompe, le duo montant du cinéma indépendant français revient à ses expérimentations d’art contemporain en collaboration avec la Fondation Cartier. Comparable à une installation d’art contemporain mise à nue pour contempler l’errance de ses personnalités entre ses murs, Best secret place est une oeuvre plutôt inédite et déroutante.
« Toutes les nuits des personnages se réveillent dans un lieu secret, sans savoir où ils sont ou comment ils sont arrivés là. Sur les tags, aux murs, au sol, ils cherchent des indices. Ils occupent cet espace avec leurs peurs, leurs désirs, leurs rêves, où la mélancolie tend peu à peu vers la lumière. »
Un poème lancinant aux multiples récits
Entre ces murs hantés par un témoin exigeant, proche des attentes d’un spectateur ou du monde extérieur qui leur réclame d’agir, de créer, divertir, les personnages attendent, ressassent, mais prennent surtout le temps d’écouter. On y découvre les récits de leurs vies avant la Secret Place, la recherche continuelle de repères ou au contraire celle d’un refuge dénué de sens, à côté du monde; une Secret Place comme dans un jeu vidéo, sans enjeux ni difficultés, où l’on pourrait tout avoir sans tellement avoir le besoin ou le devoir d’en faire quelque chose.
Cette forme de temple des désabusés s’inscrit entièrement dans la démarche cinématographique du couple qui s’est toujours passionné pour les personnages désespérés, seuls et fragiles mais débordant d’amour au fond d’eux. Car le film réfléchit à ce qui arrive quand l’on réunit des gens seuls au cœur des limbes : vont-ils en faire quelque chose? Ont-ils quelque chose à construire ensemble ?
Toute cette réflexion est nourrie de personnages certes mystérieux, mais saisissants en une histoire, une image forte, des scènes presque surréalistes pour illustrer l’absurde et la confusion du désespoir. Visuellement, Best secret place est passionnant, la mise en scène et l’écriture semblent complètement libres, peut-être grâce au cadre de l’art contemporain, et se permettent toutes sortes de propositions plus ou moins convaincantes mais toujours interpellantes.
Peut-être aurait-il gagné malgré tout à être plus naturel et moins objet artistique, en particulier au niveau des dialogues et voix off trop écrits qui s’accompagnent parfois de directions d’acteurs trop monotones voire artificielles, un défaut qui pouvait déjà être reproché à Jessica Forever (2018) ou Bébé Colère (2020).
« Le monde n’est pas assez »
Toute la filmographie de Caroline Poggi et Jonathan Vinel baigne dans un mélange constant de médias et réalités pour poser un regard plus large sur un monde multiple. Les cinéastes explorent le foisonnement d’images issues de la consommation moderne comme le porno dans Notre Héritage et surtout le jeu vidéo pour les confronter à notre rapport au monde ou du moins celui de leurs personnages, toujours coincés quelque part entre ces réalités pas tout à fait contraires ni complémentaires.
Cette exploration des imageries donne à leur cinéma un caractère expérimental hybride unique qui joue particulièrement sur l’animation 2D et 3D et l’intégration au live action – toujours dans cette démarche de décalage. Dans Eat The Night, Dark Souls était le monde d’Apolline, il se mêlait à sa vie extérieure et offrait des hybridations sublimes où tout semblait plus vrai dans ces visages et paysages pixelisés. Ici, la mise en scène reprend la déambulation des FPS et l’intègre à des paysages parisiens familiers, les paysages réels semblent abstraits et l’on revient sans cesse à des entités dématérialisées prenant l’apparence de personnages de jeux vidéos connus ou celle d’un tag dans le mur ayant prit vie pour hanter les esprits des protagonistes.
Le mélange des imageries joue beaucoup dans la poésie visuelle contemporaine du film; le montage, très sensoriel et astucieux, réfléchit constamment au sens de ses images, au rôle de l’animation jeu vidéo aussi bien pour son récit que pour ses personnages. C’est dans toutes ces réalités multiples que viennent se compléter les personnages, comme tous ceux des cinéastes et probablement comme les cinéastes eux-mêmes. L’ultime question est finalement posée au lever du jour, que restera-t-il des errances nocturnes à travers ces univers et à quoi tout cela aura rimé ?