Et si chaque arc-en-ciel cachait en réalité un voyageur temporel ? C’est du moins le postulat d’Arco, lauréat du Cristal du meilleur long-métrage à Annecy, qui déboule en salles avec sa cape aux couleurs éclatantes, bien décidé à colorer notre automne un peu grisâtre.
Pour ses premiers pas au cinéma, Ugo Bienvenu dégaine les gros crayons pour Arco. Puisant aussi bien dans les films populaires de notre enfance que dans l’esthétique futuriste et les angoisses brûlantes de notre époque, il signe une œuvre qui cherche à captiver petits et grands. À travers une vision à la fois fantasmée et cauchemardesque d’un futur possible, son propos est clair : il ne sert plus à rien de réfléchir demain, mais bien après-demain, ce qui pourra être bâtie ou reconstruit après le déluge.
« En 2075, une petite fille de 10 ans, Iris, voit un mystérieux garçon vêtu d’une combinaison arc-en-ciel tomber du ciel. C’est Arco. Il vient d’un futur lointain et idyllique où voyager dans le temps est possible. Iris le recueille et va l’aider par tous les moyens à rentrer chez lui. »

De Charybde en Scylla
Après avoir marqué le 9e Art de son empreinte avec des BD comme Préférence Système ou Total, Ugo Bienvenu s’aventure pour la première fois sur le terrain du long-métrage animé, bien qu’il est déjà réalisé quelques clips et court-métrages. Présenté au Festival d’Annecy 2025, Arco témoigne d’un accent sensible et solide de la grammaire cinématographique. Le réalisateur fait preuve d’un sens aigu du design, une science du cadre (voir ces magnifiques plan que le film sèment comme des doubles page de BD) et une imagination nourrie de références pop et mythologiques.
Son univers graphique, immédiatement identifiable sur la page, se transpose à l’écran avec harmonie. Mais cette transposition n’est pas sans défis. Si les décors et les compositions impressionnent par leur maîtrise plastique, l’animation des visages se révèle plus fragile. Bienvenu semble encore chercher l’équilibre entre le dessin pur et l’incarnation animée. Évidemment, le film souffrira la comparaison avec le talent de Jérémie Périn et la 2D de son Mars Express, sorti 2 ans auparavant. Mais si l’un a été boudé lors de son passage à Cannes, l’autre aura réussit à raflé le gros lot à Annecy.
Cela dit, ces limites n’éclipsent pas l’ambition du projet : Arco est une œuvre qui revendique un geste singulier tout en restant dans la continuité artistique d’un auteur qui ose confronter son imaginaire de papier à celui du grand écran. En cela, le film se positionne comme une tentative excitante de réinventer l’animation française. Après J’ai perdu mon corps, Le Sommet des Dieux, ou encore Amélie et la métaphysique des tubes cette même année, l’animation française a le vent en poupe depuis quelques temps. De nombreuses artistes creusent le sillon d’un vaste champ en devenir. Après tout, il faudra bien remplacer Pixar. Et si l’avenir de l’animation était français ?
F4bl3 2.0
Dès son ouverture, un enfant chute du ciel, écho au Château dans le ciel de Miyazaki, Bienvenu place son récit dans une filiation avec les grands contes animés. Le film déroule ensuite un futur où l’humanité, réfugiée dans les nuages (pas loin de Star Wars), laisse la Terre se régénérer après des siècles d’un capitalisme destructeur. Cette société, en parfait harmonie avec sa nature, a même acquis la capacité de voyager dans le temps grâce une sorte de cape (de super-héros ?).
De cette idée naît une jolie métaphore : nos arcs-en-ciel seraient en réalité les traces laissées par des voyageurs temporels venant observer le passé dans le but d’éviter de commettre les mêmes erreurs que leurs aïeux.
Arcollection
Mais toute cette histoire bascule lorsque Arco, enfant rêvant d’aventure, transgresse les règles et se retrouve piégé dans notre futur proche. 2075 : un présent augmenté qui condense à peu près toutes les dérives de notre monde actuel. Hyperconnexion, société de contrôle, catastrophes écologiques, familles désincarnées par la dématérialisation numérique : Bienvenu pousse les potards à fond de notre quotidien jusqu’à la caricature pour mieux révéler les fractures qui nous guettent.
Or, cette dimension critique n’empêche en rien le film de rester fermement ancré dans la tradition des récits merveilleux. Le duo d’enfants Arco / Iris, la rencontre dans la forêt (lieu à la marge où la féerie a encore le droit de cité), un trio de vilains incompétents ressemblant à la Team Rocket, les références à Peter Pan, E.T. ou encore le Géant de Fer confèrent dans leur association une aura de nostalgie et, curieusement, d’intemporalité au récit. L’univers d’Arco se nourrit de pop culture, de contes et de SF, oscillant en un jeu d’équilibriste entre le folklore de l’enfance et celle de la dystopie. Une hybridité qui en fait toute sa sève.

Over the Rainbow
Selon son créateur, Arco né de l’envie de réunir. Exit le cynisme et les grands monologues théoriques et habituels de son œuvre BD, Ugo Bienvenu cherche à nous offrir une expérience résolument tournée vers l’espérance. Là où la SF a pour habitude de dépeindre des futurs décharnés et oppressants, il prend le pari d’imaginer un horizon désirable à travers celui où vit Arco et sa famille. Il ne s’agit plus de remettre en cause mais de trouver une issue. Le film revendique ainsi son affiliation à la tradition des récits familiaux et aventureux propre aux années 80 – ces histoires que l’on partage entre générations.
Cette volonté de fédérer se traduit aussi dans l’animation elle-même (qui permet de prolonger l’écriture) : une 2D qui, seule au sens de l’auteur, est capable d’enchanter réellement le monde, de traduire parfaitement une vérité, non pas factuelle, mais sensible. Chaque trait conserve la finesse du dessin, la proximité du geste (si cher aux dessinateurs de BD), et confère au film une matière palpable. L’animation devient porteuse de sens et d’émotion, loin de la froideur ou de la neutralité impersonnelle d’une I.A.
Dans cette même veine, la musique d’Arnaud Toulon, qui, au-delà de colorer les scènes, insuffle de la vie à l’histoire, enrichie sa portée. Deux thèmes principaux en ressortent : celui associé à Arco, évidemment, optimiste et porteur d’espoir, héroïque même, qui confère à sa présence un caractère miraculeux ; et le second, plus mélancolique et dépouillé, associé au monde d’Iris qui reflète cette instabilité qui pourtant aspire à l’équilibre – à la simplicité du monde d’Arco. Dans l’héritage des films à composition orchestrale (qui disparaissent peu à peu depuis l’aube du 21e siècle), on se surprend à siffler le thème à la sortie de la salle. Le film nous hante.
Est-ce que les vœux existent encore ?
C’est à travers le regard vierge d’Arco, venant d’un monde plus simple, que l’absurdité de celui vers lequel nous nous dirigeons, celui d’Iris, se fait jour. Bienvenu, sous couvert de bienveillance, ne nie aucunement les dérives de notre époque. Toutefois, il refuse d’enfermer son spectateur dans le désespoir. En plaçant la complicité entre deux enfants, il rappelle que l’imagination et l’amitié sont peut-être les derniers remparts contre la résignation.
C’est du moins ce que semble traduire cette magnifique scène où Mikki, le robot-nounou d’Iris, après l’avoir sauvé des flammes, se réfugie dans une grotte et utilise ses derniers instants pour graver dans la roche ses souvenirs. Une peinture rupestre qui convoque naturellement celle de Lascaux mais aussi les origines de la bande dessinée, tout en nous livrant le cœur battant du film. Car c’est bien cette petite histoire gravée sur pierre, celle d’Iris, qui servira de balise de localisation à la famille d’Arco, lui permettant d’être retrouvé ainsi que secouru à travers la trame du temps.
Les histoires sont immortelles, donc. Elles traversent les siècles. Et même si la première partie de celle-ci cabotine à prendre son envol, Bienvenu nous procure par son biais une fronde face au réel, nous poussant à questionner notre humanité, notre rapport à l’autre et au monde. « Il nous faut sans doute raconter un monde plus ample et plus beau pour qu’il puisse un jour advenir ». Or, si la SF des années 70 et 90 ont coché tous les bingos de la dystopie, Arco exprime l’idée que c’est à notre génération de corriger le tir, de réécrire ces prédictions d’une nature différente.