Longtemps interdit en Algérie comme en France, Algérie année zéro retrace en à peine 35 minutes les débuts de l’indépendance algérienne, quand il a fallu, après 132 ans de colonisation, apprendre à administrer un pays qui ne savait plus comment le faire. D’Alger aux montagnes (le djebel), des villages perdus aux coopératives agricoles, le film donne une vision très méconnue d’une Algérie farouche, socialiste et préoccupée par le présent autant qu’elle l’est par l’avenir.
Algérie année zéro a voulu montrer le réel, à une époque où la mémoire de la guerre était encore bien trop fraîche pour faire l’objet des dissensions el’Algérie et la France. Durant l’automne 1962, l’Algérie nouvellement indépendante est à reconstruire. Ce n’est alors pas un euphémisme de dire que tout est à refaire. Après 8 ans d’une guerre terrible, la France s’en va et laisse derrière elle une myriade de terres à reprendre, d’usines à relancer sans ingénieurs qualifiés et d’administrations à faire tourner.
Un film salvateur sur une époque méconnue
De l’Algérie, nous ne connaissons en France (le grand public) que quelques dates depuis 1962 : le régime d’Houari Boumedienne, quand Alger était qualifiée de Mecque des révolutionnaires, puis la guerre civile des années 1990, et enfin le règne de Bouteflika sur deux décennies avant le Hirak en 2019.
Au-delà de ces moments bien délimités, peu a filtré. La guerre, du 1er novembre 1954 au 5 juillet 1962, a été abondamment documentée. Mais quid des jours d’après, quand tout était à refaire dans un pays ou presque personne ne maîtrisait, au fond, les rouages de la gouvernance nationale ?
C’est cela qu’Algérie année zéro cherche à corriger, en prenant un parti pris clair : celui de filmer les Algériens, et seulement les Algériens. Si nous voyons bien évidemment des Français, ce n’est que pour être témoin de leur départ. Car après le 5 juillet 1962, l’Algérie est rendue aux Algériens. À eux, comme le montre le film, de reprendre la gestion des terres agricoles qu’ils n’avaient jusqu’à présent que labouré et de réinvestir les administrations et les usines laissées à l’abandon par les colons.
Une interdiction méritée ?
Du côté Français, et en particulier dans les années 1960, l’interdiction de diffusion d’Algérie année zéro est aisément compréhensible. Un film sur une Algérie qui se reconstruit (ce qui a implique une destruction française) et qui croit en la version des Algériens d’abord, cela ne passe pas dans la France de 1962.
En Algérie toutefois, l’interdiction du film est moins évidente. Dans ses multiples points de vue, Algérie année zéro montre un pays socialiste, prêt à travailler, à créer des coopératives et à honorer ses moudjahidines. Peut-être que ce sont les autres parties du film, qui mettent en scène la pauvreté et certaines parties de la population oubliées, qui n’ont pas plu à un pouvoir qui devait avoir besoin d’unité nationale pour avancer.
En effet, au-delà du propos sur la reconstruction, c’est le discours sur la pauvreté qui fait la véritable force du film. De la création de bidonvilles aux villageois abandonnés dans les montagnes, la pauvreté a rapidement augmenté après l’indépendance, et a provoqué un exode rural important. Des milliers de laissés-pour-compte n’ont pas eu la chance de travailler dans les coopératives ou de vivre dignement dans les villes, et leur histoire est tout aussi nécessaire, mais peut-être pas pour un pouvoir algérien qui n’avait pas besoin de manifestations intérieures après une guerre aussi longue.
Un pays exsangue, une reconstruction difficile, et un documentaire nécessaire ; d’autant plus après son interdiction par l’Algérie et la France. Voilà ce qu’encapsule Algérie année zéro, en 34 minutes qui retracent des mois d’indépendance, mais qui saisissent surtout un esprit : en 1962 comme aujourd’hui, l’Algérie demeure un pays à deux vitesses, autant sur ses affaires intérieures que dans ses relations avec la France.