À Feu Doux de Sarah Friedland : Mourir peut attendre

Passé par la Mostra de Venise et le Champs-Élysées Film Festival, À Feu Doux, premier long métrage de Sarah Friedland, débarque enfin dans les salles obscures hexagonales.

Très remarqué à la Mostra de Venise en 2023, le film a reçu trois récompenses prestigieuses : Meilleure réalisation, Meilleure actrice pour Kathleen Chalfant et Lion du Futur – Prix Luigi de Laurentiis du Meilleur Premier Film toutes sections confondues. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, Sarah Friedland a également reçu le Prix du Public – Long métrage américain à la dernière édition mouvementée du Champs-Élysées Film Festival. Il faut dire que les thématiques abordées dans À Feu Doux ne laissent pas de marbre, faisant par ailleurs un certain écho au lumineux documentaire Les Esprits Libres de Bertrand Hagenmüller, sorti au cinéma fin avril.

« Élégante octogénaire, Ruth Goldman (Kathleen Chalfant) reçoit un homme à déjeuner. Alors qu’elle pense poursuivre le rendez-vous galant vers une destination surprise, elle est menée à une résidence médicalisée. Portée par un appétit de vivre insatiable et malgré sa mémoire capricieuse, Ruth s’y réapproprie son âge et ses désirs. »

© Arizona Distribution

La mémoire dans la peau

À Feu Doux s’ouvre sur Ruth, silencieuse, entrain de se préparer. Elle semble dérangée par la position d’une des vestes dans sa penderie, puis finit par aller cuisiner. Toujours sans un mot, elle fait tranquillement sa popote, mais un je-ne-sais-quoi cloche dans cette séquence d’introduction. Son attitude mutique ? Ses gestes incertains ? Difficile à dire. Ruth discute ensuite à table avec un invité (H. Jon Benjamin) lors d’un repas aux allures de rendez-vous galant. Mais, ici encore, un décalage entre les dires et actions de la vieille dame, et le comportement de son convive, se fait sentir. Ce n’est qu’à la scène suivante que le spectateur comprend de quoi il retourne en réalité, et se demande alors s’il ne s’est pas embarqué dans un film qui va dynamiter son moral.

Que nenni, rassurez-vous, et c’est là toute la force du film de Sarah Friedland. En effet, la réalisatrice et chorégraphe américaine parvient à traiter la maladie d’Alzheimer et la vieillesse, pourtant sujets casse-gueule et vecteurs de penchants fortement tragiques, avec une authenticité et une humanité déconcertantes. Exit les cascades de larmes intenables, Sarah Friedland opte pour une écriture sans fioriture, avec la part belle accordée à l’imperturbable mémoire physique (le titre original du film est d’ailleurs Familiar Touch) face aux souvenirs mentaux qui, eux, s’évaporent. Par ce biais, À Feu Doux capture joliment ce qui reste indéfectible chez les personnes âgées : les sensations physiques donc, mais aussi le désir et la soif de liberté.

© Arizona Distribution

Coming of Old Age

La réussite d’À Feu Doux serait moindre sans la performance incroyable de Kathleen Chalfant. La comédienne, d’une classe naturelle hypnotique, imprime la rétine d’un bout à l’autre du film. Insufflant la juste dose de complexité à son personnage, Kathleen Chalfant offre une véritable plongée dans la psyché de cette héroïne haute en couleurs et imprévisible. Nul besoin d’une grande démonstration d’acting pour laisser poindre une once d’égarement chez son personnage. La comédienne choisit l’épure pour mieux laisser transparaître le déni pour la maladie et la déconnexion progressive avec le réel.

Pour contrer le côté froid et morbide des décors de la maison médicalisée, Sarah Friedland opte dès le départ pour une colorimétrie aux teintes chaudes et réconfortantes. S’octroyant même quelques sauts dans l’humour, le film se mue par endroit en un véritable coming of old age porté par une héroïne bien décidée à faire ce qu’elle veut, comme tenter de braquer la supérette du coin. La réalisatrice filme les corps, gestes et émotions des différents protagonistes avec délicatesse, dans un souci du cadre aussi soigné qu’épatant. À Feu Doux évite brillamment le tire-larmes grâce à sa caméra respectueuse et observatrice, qui ne dramatise jamais ce qui se joue devant son objectif. Le résultat n’en est que plus poignant.

 

Grâce à sa mise en scène chaleureuse et son écriture sans fioriture, Sarah Friedland livre un premier long métrage bouleversant sur la vieillesse et la maladie d’Alzheimer.

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